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[CRITIQUE] Minari – American Trime

Au sein du Festival du film de Deauville de cette année, Minari de Lee Isaac Chung s’est imposé comme l’un des récits les plus envoûtants et suscitant le plus de débats. Ce chef-d’œuvre cinématographique a conquis deux prestigieux prix à l’international et a valu à son acteur principal, Steven Yeun, des éloges unanimes. Révélé par son rôle dans The Walking Dead, Yeun, tel une étoile montante, a enchaîné avec brio plusieurs performances remarquables à l’écran, notamment dans Burning, salué par la critique en 2018. Dans Minari, à l’âge de 36 ans, il s’allie à une distribution exceptionnelle pour narrer une histoire empreinte de délicatesse, laissant une empreinte indélébile dans les mémoires. Ce film, le cinquième de Chung, se révèle de loin le plus personnel à ce jour. Inspiré par la naissance de sa fille, Chung a puisé dans les souvenirs de son enfance dans l’Arkansas, remontant à l’âge de six ans environ. Il a ainsi façonné un récit riche en réminiscences autobiographiques, tout en insufflant une trame propre à son récit. Le résultat est une œuvre sublime. Au travers, Chung offre un tableau d’une beauté discrète et d’une intimité réconfortante, éveillant l’âme du spectateur.

Jacob Yi (interprété par Yeun) et son épouse Monica (Yeri Han) ont débarqué en Amérique au tournant des années 1970, ayant travaillé brièvement à Seattle avant de s’installer en Californie. C’est là que naquirent leurs deux enfants, alors qu’ils gagnaient leur vie en pratiquant le sexage des poussins, opération qui consiste à séparer les poussins mâles des femelles. Épuisé par les difficultés financières, Jacob décide de conduire sa famille, d’origine américano-coréenne, vers les terres rurales de l’Arkansas. C’est là que Chung amorce subtilement le déploiement de son drame familial et immigré, doux mais d’une authentique vivacité. Le film s’ouvre sur le trajet de Jacob au volant d’un camion de déménagement, suivi de près par Monica dans leur break, en compagnie de leurs enfants. Après avoir parcouru plusieurs kilomètres de routes de gravier, ils atteignent enfin leur nouvelle demeure : un mobile home niché au cœur de cinq hectares de terres agricoles accidentées des Ozarks. Si Jacob ne voit que le potentiel et la promesse d’une version du rêve américain, les doutes de Monica émergent dès qu’elle pose son regard étonné sur ce nouveau logis. “Ce n’est pas ce que nous avions convenu“, fait-elle remarquer, initiant ainsi un conflit familial central qui dominera une grande partie de l’intrigue.

Copyright Josh Ethan Johnson/ Prokino/ A24

Alors que leurs parents s’efforcent de s’adapter à cette nouvelle vie, les enfants apportent une perspective lucide et sans artifice. Leur fille préadolescente, Anne (Noel Cho), semble dépasser son âge et laisse transparaître une compréhension profonde de leur situation. Quant à leur fils David, âgé de sept ans (incarné par le nouveau venu Alan S. Kim, captivant), il souffre d’une malformation cardiaque, mais cela ne l’empêche pas d’être vif d’esprit. Brillant et précoce, David rayonne d’une vivacité espiègle et son honnêteté enfantine offre les moments les plus comiques du film. Son charme irrésistible ne manquera pas de marquer les esprits. Face à l’ampleur de leurs défis, le couple décide d’inviter Soonja (Yuh-Jung Youn), la mère de Monica, à venir de Corée pour les aider avec les enfants. L’arrivée de la grand-mère, au caractère abrasif et peu conventionnel, injecte un nouvel élan dans la dynamique familiale. Youn offre une prestation absolument délicieuse, particulièrement dans ses échanges avec Kim. Leurs personnages entretiennent une relation merveilleusement conflictuelle, qui se mue peu à peu en une tendre complicité. Rapidement, Soonja initie son petit-fils aux jeux de cartes, tandis que celui-ci lui fait découvrir les plaisirs simples de la lutte professionnelle et du “jus de montagne” (en réalité, du Mountain Dew). “C’est bon pour la santé“, affirme-t-il avec sérieux.

Le personnage de Paul, interprété par Will Patton, un résident excentrique mais étrangement attachant, qui passe ses dimanches à traîner une croix en bois sur des kilomètres de chemins de terre, ajoute une touche supplémentaire de fantaisie. Pourtant, il possède également une connaissance profonde de la terre et, lorsqu’il ne chasse pas les mauvais esprits des terres des Yi, il se joint à Jacob pour rétablir un potager coréen. Mais cette entreprise se révèle ardue (demandez à l’ancien propriétaire du terrain) et commence à épuiser les maigres ressources de la famille. Alors que Jacob s’acharne à creuser un puits, à acquérir un vieux tracteur et à séduire de potentiels acheteurs pour ses produits, Monica reste à la maison, de plus en plus désillusionnée par le rêve américain de son mari.

Copyright Josh Ethan Johnson/ Prokino/ A24

Le choix le plus puissant de Chung réside peut-être dans sa focalisation constante sur les moments intimes. Minari est avant tout une histoire de relations : la lutte d’un couple, les facéties d’un jeune garçon et sa grand-mère peu conventionnelle, ainsi que la collaboration de deux étrangers au sein d’une communauté. Les grands événements se produisent en coulisses ou en arrière-plan. Chung préfère s’attarder sur les interactions intimes, présentes dans les moindres détails du quotidien. Bien que le film aborde l’intégration d’une famille américano-coréenne au sein d’une communauté rurale blanche, l’approche magnifiquement réaliste de Chung transcende cette dimension pour se concentrer sur les éléments personnels qui nous unissent, parfois nous divisent. Une scène calme mais significative mérite d’être soulignée, où Soonja emmène son petit-fils jusqu’à un ruisseau aux abords de la propriété familiale. Là, elle plante quelques graines rapportées de Corée, du minari, le long de la rive (une herbe d’Asie orientale capable de pousser presque n’importe où). Avec le temps, cette plante exotique s’enracine et prospère dans le sol fertile de l’Arkansas. Cette métaphore, si délicatement tissée, illustre brillamment l’un des nombreux thèmes réfléchis du film.

Avec son histoire émotionnelle, ses personnages captivants et ses décors vivants, Minari nous entraîne dans un voyage immersif, profondément ancré dans l’expérience humaine. Ce film, discret et réfléchi, déborde de beauté naturelle. En quelques instants, j’ai été transporté par le regard lucide et réaliste de Lee Isaac Chung, emporté par le rythme poignant qui nous fait voyager d’une scène à l’autre. Il ne quitte pas mes pensées. Comme je l’ai mentionné précédemment, il laisse une empreinte indélébile.

Minari de Lee Isaac Chung, 1h56, avec Steven Yeun, Ye-Ri Han, Alan S. Kim – Au cinéma le 23 juin 2021

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