Medusa Deluxe est la dernière exclusivité du catalogue MUBI. Un whodunit dans le monde des compétitions capillaires, en plans séquences et aux thématiques queers et modernes. Passé par les festivals de Locarno, Rotterdam et Sao Paulo c’est une évidence cinéphile pour Mubi qui cherche donc à distribuer des exclusivités pour ses abonnés. Pour son premier long-métrage, Thomas Hardiman reprend un pitch classique : un assassinat lors d’un tournoi avec de multiples suspects, qui se transforme logiquement en un huis clos angoissant. Pourtant la touche de modernité qu’il apporte au genre est bienvenue, et originale. Un plan-séquence est donc un plan qui consiste en une prise de vues unique, à travers plusieurs lieux ou personnages. Ici c’est le cas pendant 1h40, la caméra ne semble jamais couper, ou s’arrêter, pendant une centaine de minutes. En réalité, le réalisateur profite de moments de transitions comme l’ascenseur pour couper en toute discrétion. Cet élément que l’on rajoute donc au genre du whodunit fait toute l’originalité de Medusa Deluxe, et nous allons donc observer comment.
Tout d’abord, le fait de ne pas couper apporte donc à ce premier long-métrage un effet esthétique intéressant, qui immerge le spectateur dans l’œuvre. Nous sommes constamment proches des personnages, en gros plan la plupart du temps, ce qui facilite le lien d’attache avec l’histoire et les protagonistes. Mais ce dispositif filmique implique également une structure narrative qui se rapprocherait presque du film à sketches. La caméra, loin d’être omnisciente, s’attache à des personnages et les suit, de pièces en pièces. On a donc plus d’informations que les protagonistes, pour chercher qui est le mystérieux assassin qui a scalpé un participant de la compétition, mais sans les avoir toutes, ce qui créer un suspens essentiel. Et surtout le fait d’alterner les petites séquences, auxquelles on accède par des couloirs sombres, permet à l’équipe de préparer chaque scène tout en gardant cette impression de plan-séquence. Mais alors que suit réellement la caméra ? Pas un unique personnage, ni d’intrigue principale, ni un schéma précis. Le narrateur et le spectateur suivent ici des dialogues. Ce fameux plan-séquence n’est qu’un support pour mettre en avant l’importance de la parole.
L’investigation pour rechercher le meurtrier passe principalement par le dialogue. Ici il y a peu de scènes d’action ou de recherches d’indices de manière scientifique, tout se déroule grâce à la parole. Des confessions, des ragots, des interrogatoires, des rumeurs, des déclarations et bien sûr des injures, pour son premier long-métrage Thomas Hardiman est bavard. Ce qui intéresse tant le réalisateur c’est l’importance que ces dialogues ont sur l’intrigue. La manière dont une simple confession évolue en une rumeur puis en une altercation violente, c’est ça le pouvoir des mots. C’est d’ailleurs paradoxal que l’auteur décide de mettre en scène ce scénario aussi écrit, de manière aussi visuelle. L’idée même de cet univers de coiffeur et de modèles, soit un monde qui repose sur le regard, n’est qu’une sorte de filtre apposé sur le scénario. La preuve en est avec le fait qu’une partie de l’intrigue repose sur un trafic de pilules pour lutter contre la calvitie. Le fait de cacher cela par des perruques, des médicaments, ou des cheveux représente très bien ce film qui cache son amour pour les mots derrière ce monde esthétisant. Un double jeu des personnages et de la mise en scène, c’est à ce moment là que Medusa Deluxe devient particulièrement intéressant. Il accorde sa forme et son fond parfaitement, sans jamais un pas de côté.
C’est quoi le cinéma de Thomas Hardimann ? Avec cette première réussite, qui tient en haleine pendant une centaine de minutes, le réalisateur s’intéresse à ce drôle de monde qu’est la coiffure. Les coupes ultra stylisées et les discours sur les cheveux ne sont qu’un écran de fumée pour dérouler l’enquête policière derrière. Et celle-ci n’est qu’un leurre pour mettre en avant les relations compliquées entre les personnages, qui sont elles-mêmes mises en scène dans un seul but : redonner tout son pouvoir aux dialogues. Cette poupée russe de fausses pistes, jusque dans la forme du film, fait de Medusa Deluxe une expérience particulièrement mémorable, et surtout captivante. Le scénario ne dispose pas de twist ou de retournement de situation particulièrement inattendu, mais sa dernière séquence contient un fait étonnant. Dans ce final sous forme de danse, aucune parole n’est prononcée à l’exception de la musique de fond. Pour un film bavard de sa première à sa dernière seconde c’est donc une anomalie. Mais qui révèle justement tout le paradoxe du cinéma d’Hardiman, un homme bavard amoureux du beau. Bien évidemment qu’il ne pouvait résister à l’envie de réaliser une scène de comédie musicale, c’est l’aboutissement logique et réussi pour ce cinéaste. L’un des réalisateurs les plus prometteurs pour les années à venir.
Medusa Deluxe de Thomas Hardiman, 1h41, avec Clara Perkins, Kayla Meikle, Debris Stevenson – Au cinéma le 4 août 2023