À certains moments, le dernier opus cinématographique de Disney-Pixar, Luca, semble s’aventurer sur le sentier trop fréquenté du film d’animation qui prêche le message de « soyez vous-même« . Ce n’est point que ce message soit dénué de vertu, mais il s’agit plutôt de l’obsession qu’ont souvent les réalisateurs de films d’animation à produire des œuvres divertissantes et inoffensives pour les enfants, tout en pouvant se targuer d’avoir dispensé une leçon de morale. Avant d’approfondir davantage, il convient de souligner que Luca ne saurait être qualifié de médiocre, bien au contraire. Le problème ne réside pas non plus dans son rythme, car une fois visionné dans son intégralité, le déroulement de l’intrigue s’avère fluide et naturel. Néanmoins, le troisième acte du film se démarque de manière significative, offrant une richesse et une résonance émotionnelle accrues (la sublime partition de Dan Romer promet d’accompagner le film lors de la saison des récompenses, lorsqu’elle sera soumise à l’appréciation du public).
Il devient manifeste que Luca aborde davantage la crainte d’être rejeté pour ce que l’on est que l’invitation superficielle à s’ouvrir à soi-même, une tendance fréquemment observée dans les films d’animation. Il s’agit donc d’une histoire sur l’identité autant qu’un conte admirablement écrit et magnifiquement réalisé, qui met en lumière l’amitié entre des individus marginaux. Le réalisateur, Enrico Casarosa, qui s’appuie sur un scénario de Jesse Andrews et Mike Jones, démontre également une compréhension aigüe de la puissance inhérente à l’acceptation de sa véritable identité, en particulier pour ceux qui hésitent à le faire, comme en témoigne un moment subtil du climax qui, bien qu’étranger à l’intrigue principale, véhicule un message significatif.
Le personnage éponyme, Luca, est une créature marine qui habite les profondeurs de la Méditerranée. L’espèce à laquelle il appartient demeure indéfinie, ce qui laisse libre cours à la créativité artistique de l’équipe, qui a conçu numériquement des êtres amphibies aux couleurs chatoyantes, évoquant un mélange entre sirènes et hippocampes. Le résultat est à la hauteur de l’attente. Il réside avec sa famille, où il est assigné à la tâche de gardien de poissons et strictement prohibé, par ses parents, de s’aventurer hors de l’eau et sur la plage qui borde Portocello. Cette restriction s’explique par la chasse aux créatures marines perpétrée par les humains, comme l’illustre un prologue rapide, qui utilise également des éléments tels qu’un gramophone pour situer l’époque et le lieu. c’est un garçon obéissant, respectueux des règles, qui n’oserait pas transgresser cette interdiction, bien qu’il se laisse emporter par des rêveries imaginatives sur la vie à la surface. Toutefois, un écart de conduite le contraindra à vivre dans les profondeurs avec son oncle excentrique, physiquement translucide, qui de temps à autre requiert une impulsion pour que son cœur continue de battre. Par un pur hasard, il émerge des eaux et échoue sur la Riviera italienne, suscitant naturellement l’effroi de sa famille, où il fait la rencontre fugace d’Alberto, un solitaire aventureux. C’est à ce moment que Luca devient littéralement un poisson hors de l’eau, puisque Alberto lui enseigne les rudiments de la vie sur terre. Étonnamment, le style humoristique qui prédomine initialement (notamment l’absence de réaction face à un chat en ville) s’estompe progressivement, ce qui s’avère probablement judicieux étant donné les aspirations plus profondes du récit.
Alberto, lui aussi une créature marine, n’a nulle part où aller et passe ses journées à attendre le retour de son père. Il partage également avec son ami une soif de découverte, alors que ce dernier est enclin à la prudence et à la réserve envers l’inconnu. Alors que Luca aspire à retrouver sa famille, il se retrouve à collaborer avec Alberto pour construire un scooter de fortune, dans l’espoir de parcourir le monde et de vivre pleinement. Comme on pouvait s’y attendre, la fabrication d’un scooter Vespa opérationnel à partir de rien se révèle une entreprise insurmontable, conduisant nos deux amis à Portocello, où ils font la connaissance de Giulia, une autre inadaptée, victime de harcèlement. Ils découvrent également l’existence d’un triathlon annuel, dont la victoire leur permettrait d’acquérir une authentique Vespa (bien qu’abîmée, elle demeure fonctionnelle). Ce qui distingue cette amitié, c’est que, de la même manière que dans la vie réelle, les individus peuvent se lier d’amitié sans connaître l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou le handicap de l’autre, Giulia ignore que Luca et Alberto sont des créatures marines légendaires. Ils s’acceptent mutuellement dès le départ, ce qui engendre une amitié belle et authentique. Toutefois, une véritable acceptation ne signifie pas nécessairement que les individus se sentent immédiatement à l’aise, prêts à dévoiler toutes les facettes de leur être aux autres. En dépit de cette acceptation, un fossé se creuse entre les deux amis, ces derniers craignant que Giulia (et le monde en général) ne les accepte jamais pleinement et ne les intègre pas dans la société.
Dans un climat d’incertitude quant au déroulement des événements, nos protagonistes déploient leurs meilleurs efforts afin d’éviter d’être aspergés par les flots aquatiques. Au commencement, il est vrai que la métamorphose des jeunes garçons en créatures marines par une minime quantité d’eau peut sembler artificielle, mais les trente dernières minutes du récit remédient de manière percutante à cette particularité désormais superflue. De surcroît, leur prudence vise à éviter d’éveiller la méfiance du père de Giulia, chasseur redouté de ces créatures des mers. Les complications surgissent également de la cruauté incontrôlable de la brute locale, davantage crainte par ses semblables que réellement appréciée.
Il est vrai que certains pourraient considérer Ercole, interprété par Saverio Raimondo, comme un antagoniste unidimensionnel, qui ne sert qu’à entraver la progression des protagonistes. Cependant, ceci est parfaitement intentionnel, car certaines personnes ne nécessitent aucune justification pour leur animosité. Bien qu’il ne revête peut-être pas une profondeur caractérielle remarquable, sa crédibilité est indéniable. Dans un ton à la fois humoristique et charmant, le long-métrage évoque également l’Italie à travers des paysages à couper le souffle, une architecture saisissante, une cuisine exquise (notamment illustrée par une étape du triathlon consistant en un concours de pâtes dont les participants ignorent la variété qui leur sera servie, offrant ainsi des scènes riches en découverte et en célébration de la diversité culinaire), et une ambiance estivale qui jaillit quasiment de l’écran. Les personnages centraux du film sont également dépeints avec une attention méticuleuse et une authenticité palpable.
Luca aborde audacieusement le thème de l’amitié, tout en mettant en avant les notions d’identité et de visages attachants qui narrent l’histoire. Tel une Vespa parcourant des terrains escarpés, il débute avec quelques secousses avant de s’harmoniser et de prendre son envol, capable d’explorer toutes les pistes et d’atteindre sa destination, en parallèle des espoirs et des rêves de Luca et Alberto. Ce long-métrage ne se destine pas uniquement à un public juvénile, car il offre à tous, indépendamment de leur âge, une source d’inspiration pour accepter et assumer leur identité sans appréhension.
Luca de Enrico Casarosa, 1h36 – Sur Disney+ le 18 juin 2021, débarque au cinéma le 14 avril 2024