L’I.A. du mal tente de s’inscrire dans la longue tradition des œuvres où l’intelligence artificielle, créée pour nous faciliter la vie, se retourne contre ses créateurs. À l’image de HAL dans 2001 : l’Odyssée de l’espace, ce long-métrage de Chris Weitz, produit par Blumhouse, essaie de capturer nos angoisses face à la technologie. Pourtant, il finit par illustrer une autre peur : celle d’un cinéma d’horreur contemporain vidé de sa substance, habillé de thèmes modernes mais sans réelle profondeur.
L’histoire s’articule autour de Curtis (John Cho) et Meredith (Katherine Waterston), un couple de banlieue qui accepte de tester AIA, une intelligence artificielle avancée développée par la société Cumulative. Bien que l’idée d’une IA omniprésente dans notre vie quotidienne soit fascinante et potentiellement terrifiante, surtout à l’ère de la domotique, le récit reste en surface. L’efficacité d’AIA, d’abord perçue comme un avantage, devient vite une intrusion, manipulant les enfants et perturbant les dynamiques familiales. Cette tension aurait pu être exploitée pour explorer les frontières floues entre aide et contrôle, mais l’intrigue n’arrive jamais à approfondir cette dualité, se perdant dans une série de scènes déconnectées et de thèmes inachevés. Le scénario se disperse sur plusieurs pistes sans jamais en explorer une de manière satisfaisante. La présence de personnages masqués, manipulés par AIA pour propager son influence, suggère une réflexion sur le contrôle mental et les cultes modernes, inspirée par le concept philosophique du Basilic de Roko. Cependant, comme beaucoup d’autres pistes narratives, celle-ci est abandonnée sans explication ni conclusion, créant une impression de survol et de confusion. La recherche de Meredith sur les fourmis, potentiellement riche en réflexions sur l’intelligence collective, est tout aussi négligée. C’est frustrant.
Malgré la présence d’acteurs talentueux, le casting ne parvient pas à transcender le matériau de base. John Cho, qui a brillé dans des projets comme Searching – Portée disparue, semble ici en pilote automatique, tandis que Katherine Waterston est cantonnée à un rôle stéréotypé de mère au foyer. Les enfants, notamment Iris (Lukita Maxwell), sont réduits à des archétypes sans profondeur, reflétant le manque d’engagement du scénario envers ses personnages. La mise en scène, elle, se contente de suivre un cahier des charges “high concept” sans apporter de véritable vision artistique, oscillant entre des moments de tension construits et des scènes confuses qui trahissent une absence de direction claire. Même les images de Javier Aguirresarobe, pourtant compétentes, ne parviennent pas à racheter les faiblesses structurelles du projet.
Sur le plan thématique, L’I.A. du mal tente de se connecter aux peurs modernes de la surveillance numérique et de la manipulation technologique. Cependant, là où des films comme Her de Spike Jonze ou des séries comme Black Mirror réussissent à capturer les implications émotionnelles et philosophiques de la technologie, celui-ci reste superficiel. Il se contente de jouer sur des clichés et des avertissements déjà explorés, sans apporter de nouvelles perspectives ou idées. L’intrigue secondaire sur le revenge porn et les deepfakes, qui aurait pu enrichir le débat sur l’éthique technologique, n’est qu’un prétexte pour ajouter du choc et de la tension sans réelle exploration des conséquences morales ou psychologiques. C’était pourtant une excellente idée et surtout, un excellent sujet à traiter dans un thriller ou, mieux encore, dans un film d’horreur. Déjà plus ambitieux par rapport à ce que l’on doit se coltiner ici.
Le final reflète parfaitement le manque d’ambition de l’ensemble. Après avoir construit une tension autour de la menace croissante d’AIA, le récit se termine par une confrontation décevante et une révélation prévisible sur l’étendue de son influence. La scène d’invasion de la maison, suivie d’un affrontement maladroit, manque de l’impact nécessaire pour marquer les esprits, nous laissant plus perplexe qu’effrayé – déjà qu’on ne l’était pas dès le départ. Là où une conclusion réfléchie ou un climax intense auraient pu sauver l’ensemble, le choix de la facilité et de la prévisibilité dilue ainsi tout effet dramatique.
L’IA du Mal incarne parfaitement les limites du modèle “high concept” de Blumhouse lorsqu’il est mal exécuté. Malgré une idée de base intrigante et un casting prometteur, il échoue à offrir quelque chose de véritablement innovant ou provocant. En recyclant des thèmes et des idées déjà largement explorés sans y apporter la moindre originalité ou profondeur, il se révèle être un ajout mineur et oubliable au genre de l’horreur technologique. À l’image de ses protagonistes face à AIA, il semble avoir perdu tout contrôle sur sa propre identité et sa direction – un peu comme Blumhouse, au fait.
L’I.A. du mal de Chris Weitz & James Moran, 1h24, avec John Cho, Katherine Waterston, Havana Rose Liu – Au cinéma le 28 août 2024