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[CRITIQUE] Les Linceuls – Parler pour ne plus savoir quoi dire

Il y avait de quoi être curieux avec Les Linceuls de David Cronenberg, œuvre personnelle d’un auteur endeuillé depuis la mort de sa femme, à qui il destine ce long-métrage. Vincent Cassel, vêtu de noir, de lunettes de soleil et de cheveux blancs, joue Karsh, l’alter ego du cinéaste inconsolable depuis le décès de son épouse. Karsh invente un système révolutionnaire et controversé, GraveTech, qui permet aux vivants de se connecter à leurs chers disparus dans leurs linceuls. Une nuit, plusieurs tombes, dont celle de sa femme Becca (Diane Kruger), sont vandalisées. Karsh se met alors en quête des coupables.

Après Crimes of the Future, où Viggo Mortensen était enfermé dans un cercueil entouré de femmes, on assiste ici à tout son contraire avec une Diane Kruger enveloppée dans un linceul capable de filmer son corps en 3D afin que son mari puisse contempler sa décomposition pour soigner son deuil. Sur le papier, c’est une bonne réponse à ce précédent long-métrage. On y voit un homme s’approprier le corps de sa femme même après sa mort. Femme enterrée dont on observe les os, femme en avatar 3D à la Jarvis dans Avengers, femme qu’il voit en Terry, sa belle-sœur jumelle. Cronenberg a de la matière pour développer une vraie réflexion sur l’appartenance d’un corps et d’une âme après la mort et le trauma du deuil. Mais n’a-t-il pas fait ce film trop tôt ? A-t-il eu le temps de développer et de réfléchir à ses idées ?

Copyright Pyramide Distribution

Parce que Les Linceuls est plat et fatigant. Il nous pose un contexte dès le départ, celui de la mentalité de son personnage, de ce qu’il veut changer et ce qu’il possède (ou pas), mais le long-métrage se complaît dans une esthétique et une écriture pseudo-intellectuelle où il est difficile de saisir le propos à travers ces lignes de codes qui lui servent de dialogues. Les discussions sont incompréhensibles, utilisant des termes technologiques, sexuels par moments, mais surtout des phrases enchaînant des mots chuchotés pour servir des réflexions vide de sens. Ce rythme automatique, en conduite autonome comme les voitures Tesla dont il se languit d’en faire la promotion, insuffle à Les Linceuls une douce envie de fermer l’œil. Vous le pouvez. De toute façon, toute l’intrigue, une pseudo-enquête policière où Cassel joue un chevalier noir désabusé, se résume à affronter le méchant geek d’Iron Man 3, Maury (Guy Pearce).

Heureusement, Howard Shore est là pour rappeler à Cronenberg de se concentrer sur ce qui fait le charme de son cinéma : la poésie de la destruction. Notamment dans une scène absolument magnifique où Karsh entre progressivement dans un linceul pour ressentir ce que sa femme éprouve. Il y met d’abord un pied, puis jusqu’aux hanches, ensuite les bras, puis tout le corps. Dans le même ordre, nous voyons l’intérieur de son corps se composer sur l’ordinateur : son squelette, ses muscles, ses veines et autres composantes. À ce moment-là, le cinéaste renaît dans un silence vocal où la musique de son compositeur fétiche prend le dessus pour remplacer le récit. Shore est le vecteur d’émotion du long-métrage, capable de mieux communiquer ce que le cinéaste souhaite exprimer que le texte.

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Les Linceuls est un film extrêmement bavard, et comme dit précédemment, souvent pour ne rien dire. À tel point que l’on finit par ne plus prêter attention aux dialogues. C’est malheureux car cela prend tellement de place qu’une scène d’amour entre Karsh et Terry, où ils vont se mettre à réfléchir sur la morale de coucher avec la jumelle et sur les pensées tourmentées de Karsh par rapport à cet acte, perd de son impact. Pourquoi faire cela ? Cronenberg n’a-t-il pas confiance en son public pour tout expliciter avec des lignes de dialogues ? C’est pesant, en plus d’alourdir l’ambiance de la scène. Car le cinéaste a un don pour filmer des corps proches, des scènes d’amour. Que ce soit dans Crash, Frissons ou Faux Semblants, il est doué pour capturer cette transe du sexe et nous enivrer de cela, même quand c’est moralement discutable.

Mais non, il préfère parler, encore parler, au point de nous emmener vers des pistes de complot russe avant de conclure sur le dernier plan le plus impersonnel de sa filmographie (un avion qui vole dans le ciel). Il y a de quoi être triste de voir une œuvre personnelle et bavarde autant se crasher par manque de communication limpide. Comme la marque dont il fait la publicité, c’est aussi intello-con qu’Elon Musk.

Les Linceuls de David Cronenberg, 1h56, avec Vincent Cassel, Diane Kruger, Guy Pearce – Au cinéma le 25 septembre 2024