[CRITIQUE] Les 2 Alfred – 3630 Les pères boomer

Après l’émergence récente de Effacer L’Historique de Kervern et Delépine, une nouvelle tendance cinématographique semble éclore dans nos salles obscures : les productions dédiées aux “baby-boomers“. Ces longs-métrages se concentrent principalement sur des quadragénaires (ou plus) confrontés de près à la jeunesse et à l’avancée technologique. Ils aspirent à une critique de notre société contemporaine et de notre addiction à la technologie. Cependant, bien que leur intention puisse être louable, il est permis de questionner l’expertise des auteurs, souvent étrangers à ces réalités, et leur absence de volonté de véritable compréhension. Malgré cela, que ce soit dans le film de Kervern et Delépine ou dans le tout dernier Les 2 Alfred, il serait erroné d’y voir une œuvre de médiocre facture ; bien au contraire, il s’agit là d’un témoignage perspicace de notre époque.

Alexandre, un chômeur désœuvré, se trouve confronté à un défi de taille : il doit démontrer à sa conjointe qu’il est capable de s’occuper de leurs deux jeunes enfants et de subvenir financièrement à leurs besoins en l’espace de deux mois. Cependant, un obstacle de taille se dresse sur sa route : la start-up The Box, bienveillante en apparence, impose la règle sans appel : “Pas d’enfants !” De surcroît, sa future supérieure, Séverine, est une figure autoritaire et volcanique. Pour obtenir cet emploi, Alexandre doit alors recourir à la supercherie… Sa rencontre fortuite avec Arcimboldo, autoproclamé “entrepreneur de lui-même” et maître des petits boulots sur applications, apportera-t-elle un soutien salutaire à cet homme vaillant mais désorienté, face à ces multiples défis ?

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Réalisé par Bruno Podalydès, qui partage également l’affiche avec son frère Benoît Podalydès, l’un des trois protagonistes d’Effacer L’Historique, ce film illustre parfaitement les connexions subtiles qui traversent le septième art. L’élément majeur de Les 2 Alfred réside incontestablement dans la relation entre ces deux personnages fraternels, les frères Podalydès (et non pas trois…). Après une rencontre des plus fortuites, ces deux individus s’engagent rapidement dans une dynamique d’entraide, teintée d’une fraternité presque palpable, accentuée par leur complicité hors écran. À partir de cette prémisse, le film gagne rapidement en charme, surtout lorsque les péripéties, de plus en plus saugrenues, se succèdent. Le spectateur passe aisément du rire à l’émotion, mais trop souvent aussi à la perplexité. Bien que la relation entre Denis et Bruno soit rafraîchissante, l’univers dans lequel ils évoluent demeure énigmatique. Oscillant entre réalisme contemporain et science-fiction, la vision dépeinte par Bruno Podalydès peine à se matérialiser pleinement dans notre esprit. Les technologies s’accumulent sans que leur fonctionnement ni leur utilité ne soient clairement définis. Une critique voilée de la dépendance aux nouvelles technologies ? Possible, mais si tel est le cas, le récit ne parvient pas à communiquer ce message de façon éloquente, surtout lorsque l’écriture s’attarde à décrire une société et des personnages excessivement assujettis à ces innovations.

Malgré une trame nébuleuse, le long-métrage s’impose comme une comédie charmante. S’appuyant principalement sur l’absurde, le comique de situation est omniprésent tout au long du film, magnifié par le talent de metteur en scène de Bruno Podalydès. Tout cela serait vain sans le jeu des acteurs : Sandrine Kiberlain incarne avec hilarité une responsable rigide dans ses bottes, tandis que Yann Frisch, pour son premier rôle au cinéma, rayonne en PDG hipster mégalomane. La direction d’acteurs remarquable se conjugue harmonieusement avec des dialogues fantastiques. Les personnages farfelus évoluent dans des situations toujours plus absurdes. Bruno Podalydès ose même des moments de silence, ajoutant souvent une touche de gêne après certaines scènes hilarantes, déconcertantes. L’ironie transpire à travers la mise en scène, ce qui est indéniablement un atout.

En dépit d’un message quelque peu énigmatique, Les 2 Alfred demeure une comédie intergénérationnelle plaisante. Tandis que les quadragénaires pourront esquisser de tendres sourires moqueurs face à la génération Y (conformément à la vision du réalisateur), ces derniers auront également l’occasion de railler leurs aînés. Le film est susceptible de susciter un délicieux conflit générationnel, un jeu taquin entre les âges, tout en offrant un moment cinématographique harmonieux, où les rires s’entremêlent à souhait. En ces temps troublés, n’est-ce pas là ce dont nous avons besoin ?

Les 2 Alfred de Bruno Podalydès, 1h32, avec Denis Podalydès, Sandrine Kiberlain, Bruno Podalydès – Au cinéma le 16 juin 2021

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