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[CRITIQUE] Leila et ses frères – Une grande fresque familiale dans l’héritage de Coppola et Shakespeare

Près d’un an après le succès public et critique de La Loi de Téhéran, thriller caniculaire sur la lutte anti-drogue en Iran, Saeed Roustaee revient avec Leila et ses frères, un film d’apparence plus intimiste. Il raconte l’histoire de Leila, qui va tenter de convaincre ses frères d’acheter une boutique et lancer une affaire, pour sortir leur famille d’une situation financière précaire, croulant sous de nombreuses dettes. Cependant, le père, non convaincu par cette opportunité, et obsédé par les traditions, va mettre leur projet en péril pour devenir le Parrain de sa communauté.

Il n’échappera à personne que Leila et ses frères s’inscrit dans un héritage Shakespearien, et qu’il comporte de nombreuses similarités avec Le Parrain de Coppola. Si le cinéaste admet ne pas y avoir pensé pendant l’écriture, il demeure assez évident que la fratrie de son film se compose presque en miroir de celle du chef-d’œuvre de Coppola et Mario Puzo. La Loi de Téhéran était déjà très dense, mais Saeed Roustaee pousse cette fois son récit jusqu’à 2h50, et pourtant, aucun bout de gras n’est à relever. Certains diront que la mise en place est légèrement trop longue, cependant c’est justement ce temps qui est utilisé à bon escient pour introduire à merveille tous ses personnages, comprendre leurs problématiques et leurs relations, avant d’en arriver au but commun qui va les unir au sein du métrage.

Le cinéaste n’hésite pas à placer quelques touches d’humour et d’ironie, mais ne perd jamais de vue le sérieux que nécessite cette histoire. En effet, si le postulat et le genre de son précédent film est plus haletant sur le papier, ici l’intensité dramatique est pourtant bien présente, et peut-être plus impactante. La tension monte crescendo, guidée par les choix des personnages, tous profondément humains dans leurs qualités comme leurs faiblesses, jusqu’au point d’orgue du film : la séquence du mariage. Une scène parfaitement orchestrée par le cinéaste, mettant en scène littéralement les personnages et un pan de la société Iranienne, obsédée par l’honneur et les apparences. Ce qui commence comme une célébration s’achève comme une exécution publique, avec une puissance dramatique dévastatrice.

Cette séquence symbolise parfaitement une des thématiques du film, à savoir le rapport des Iraniens à la culture du faux, du paraître. Tout est un jeu d’apparences : les toilettes publiques que la fratrie tente d’acheter pour y construire une boutique, l’affaire moralement douteuse de l’ami d’un des frères, siégeant en haut d’une tour luxueuse, ou évidemment les traditions avec ce titre de Parrain très convoité, censé apporter honneur et richesse. Si la séquence du mariage est probablement la plus marquante du film, reste qu’il comporte énormément de scènes très intenses, et se termine sur une note pathétique et bouleversante, rappelant le sort de Vito Corleone dans Le Parrain.

Si le film, présenté à Cannes cette année, n’est reparti qu’avec le Prix de la Critique Internationale, il est évident qu’il aurait mérité aisément une récompense prestigieuse de la part du Jury, voire même la Palme d’or. Leila et ses frères s’impose comme une grande fresque familiale, dans l’héritage de Coppola et Shakespeare, avec sans doute quelques-uns des moments de cinéma les plus impressionnants de l’année, consacrant Saeed Roustaee comme un des cinéastes les plus importants de notre époque.

Note : 5 sur 5.

Leila et ses frères au cinéma le 24 août 2022.