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[CRITIQUE] Law and order – Surveiller et punir

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Par Pierre

En intégrant un commissariat de police de Kansas City, Frederick Wiseman prolonge sa cartographie des institutions américaines, entamée quelques années plus tôt avec Titicut follies (1967). Dans ce premier mouvement de l’oeuvre, le réalisateur, de par les lieux qu’il investit, force son spectateur à regarder frontalement le fonctionnement vicié des organisations régaliennes. Dévoilement est alors fait de la prison et du tribunal comme outils, grâce auxquels l’Etat étasunien produit sa légitimité en assurant sa domination sur sa population la plus précaire. Law and order (1969) participe de ce même élan cinématographique, voire sociologique.

© Météore films

Caméra à l’épaule, au commissariat ou en déplacement, le film s’accroche aux agents de police dans leur quotidienneté. Ainsi, si nous apercevons subrepticement dépôts de plainte et interrogatoires, la majeure partie de ce que nous voyons de l’activité d’un policier a lieu en intervention. Au volant de sa voiture, il patrouille, fier, dans les rues de la ville et attend patiemment un appel. Une fois son matricule déclamé par cette radio déversant ad nauseam son flot d’informations, d’annonces et d’avertissements, il se rend sur place où il peut enfin « se sentir utile. » Il est sollicité tour à tour pour une dispute conjugale, l’arrestation d’une prostituée ou d’un délinquant mineur. Chaque évènement donne lieu à une séquence qui, décontextualisée, oblige le spectateur à saisir dans la cacophonie les maigres informations qu’il peut glaner afin d’appréhender l’urgence et la gravité des situations.

A l’inverse de cette scène d’ouverture qui voit s’enchainer mécaniquement les photos d’identités de prévenus, le long-métrage, en allant à la rencontre de ces anonymes, leur donne corps et brise la fixité mortifère du mugshot. Plus encore, Wiseman recourt fréquemment aux zooms. Il s’approche de ces visages jusqu’à les sonder, chaque embryon d’expression est saisie, la tristesse succède à la colère, l’indignation à la résignation. Une renonciation provoquée par les sévices infligés par le personnel policier sur les individus. Là aussi, le zoom permet à Wiseman de saisir au plus près les gestes de violence perpétrés impunément. Des gestes routiniers dont se gargarisent entre eux les policiers et qu’ils effectuent librement face caméra : une prostituée noire se fait littéralement étrangler par un agent.

© Météore Films

Ces séquences, filmées frontalement, constituent la mise en image froide de la répression policière où les minorités les plus précaires, et en premier lieu la population afro-américaine paupérisée, y sont, comme elles le sont dans le réel, surreprésentées. La décontextualisation, évoquée plus haut, permet d’ailleurs d’isoler la violence. Brute, elle n’en paraît que plus abominable et finalement, les complaintes tragiques de ces pauvres gens qui veulent vivre, achèvent d’embarrasser le spectateur. 

Surtout, le montage multiplie ces scènes de violence, en accentue les différences et les répétitions qui, suivies des discussions goguenardes et innocentes des agents de police, dévoile le caractère systémique et inconscient de ce problème dans l’institution. Une pensée raciste intériorisée qui résonne avec une séquence de campagne présidentielle de 1968. Nixon, alors candidat, martèle son slogan : « Law and order ». La loi et l’ordre en réponse aux émeutes raciales qui frappèrent les quartiers populaires à la suite de l’assassinat de Martin Luther King quelques mois plus tôt. Les populations molestées par la police peuvent pourtant témoigner de la bonne tenue de l’ordre, mais où est donc la justice ?

Law and Order de Frederick Wiseman, 1h21, documentaire – Au cinéma le 11 septembre 2024

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