[CRITIQUE] La Voix humaine – Ce court-métrage est une porte d’entrée fascinante au cinéma d’Almodóvar

Le court métrage de trente minutes La Voix humaine de Pedro Almodóvar, dont les débuts en anglais sont enivrants, s’inspire « librement » de la pièce de Jean Cocteau, mise en scène pour la première fois à Paris en 1930, à laquelle le cinéaste a fait référence en 1987 dans La Loi du désir, et l’a d’abord inspiré à écrire Femmes au bord de la crise de nerfs en 1988. Après le festival de Venise, New York et Londres, La Voix humaine figurait sur la liste des courts métrages potentiellement sélectionnés aux Oscars pour le prix du meilleur court métrage de fiction, mais il n’a pas été retenu.

Tilda Swinton incarne Elle, une femme qui attend depuis plusieurs années que son petit ami l’appelle depuis trois jours, avec ses bagages et son chien à ses côtés. À l’ouverture du film, nous la voyons impeccablement vêtue de Balenciaga, mais un peu comme une resplendissante Miss Havisham, elle est habillée à neuf avec nulle part où aller. Elle quitte cependant brièvement l’appartement pour faire un achat mystérieux, payé en espèces, une hache. Avec une palette vibrante de couleurs emblématiques d’Almodóvar, l’appartement que la femme habite est élégant et immaculé, comme une maison de designer photographié pour un magazine de luxe. Un plan aérien révèle qu’il s’agit en fait d’un décor dans un hangar, et la vue depuis son balcon est d’un mur intérieur du hangar. Bien que déconcertante, cette révélation et les plans subséquents dans le hangar lui-même n’ajoutent pas de manière inattendue une couche d’artificialité qui détourne l’attention de la détresse du personnage ou nous donnent l’impression que c’est un scénario en cours de tournage, mais plutôt accentuer l’intensité de la solitude et de l’état émotionnel de la femme. Il y a cependant un aspect performatif au discours du personnage quand son petit ami finit par appeler, car elle essaie au départ de le convaincre qu’elle est sortie chaque soir en s’amusant plutôt qu’en l’attendant. 

Swinton profite de chaque battement de ce monologue mesuré et délicieux d’une femme méprisée, traversant chaque émotion dans sa tentative de faire pencher son amant pour changer d’avis, tout en retrouvant progressivement et puissamment sa féroce indépendance. C’est un jeu d’acteur fascinant, nuancé, à couper le souffle, livré avec précision et subtilité, et Almodóvar offre un cadre somptueux et envoûtant pour abriter et amplifier sa performance. 

La cinématographie de José Luis Alcaine avec beaucoup de gros plans est magnifiquement fluide et le montage de Teresa Font correspond aux respirations et aux rythmes de l’œuvre magistrale de Swinton. Alberto Iglesias, collaborateur fréquent d’Almodóvar, revisite certains de ses thèmes musicaux tels que Broken Embrace, Bad Education, Talk To Her et I’m So Excited! car la partition et le film lui-même, bien qu’en anglais, est une célébration de tout ce qui concerne Almodóvar avec un protagoniste fascinant et légèrement dérangé en son centre. C’est un délice inquiétant.

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