[CRITIQUE] La Nuit du 12 – Les hommes assassins

Le réalisateur Dominik Moll et le scénariste Gilles Marchand ont fait leur entrée sur la scène avec leur première collaboration, Harry, un ami qui vous veut du bien… Il offraient une solide vitrine à Sergi López dans le rôle de Harry, un vieil ami de Michel (Laurent Lucas), qui rend à ce dernier des services de plus en plus sociopathes. Harry n’était pas grand-chose, mais il suggérait que Moll pouvait raisonnablement être un héritier de la tradition de Chabrol, produisant des thrillers serrés qui disséquaient la bourgeoisie. La deuxième collaboration de l’équipe, Lemming, en 2005, n’a pas été aussi fructueuse, mais elle a confirmé que Moll pourrait devenir un réalisateur de films de genre d’une certaine importance. Il se trouve qu’il a passé les années qui ont suivi à tourner en rond, avec des films aussi insignifiants que Le Moine, une petite bombe gothique mettant en scène Vincent Cassel dans un combat contre Satan, et, plus récemment, Seuls les bêtes, un policier à la logique brouillée qui fait la part belle au hasard, mais qui est en proie à l’artifice. À la lumière de ces éléments, La Nuit du 12 est certainement une amélioration, même si l’idée du “prochain Chabrol” continue de disparaître au loin. Comme beaucoup de films et de séries télévisées de nos jours, La Nuit du 12 est basée sur un crime réel et suit l’équipe d’enquêteurs de Grenoble qui tente, sans succès, de résoudre l’affaire.

Le scénario, s’est inspiré d’une trentaine de pages du livre Une Année à la PJ de Pauline Guéna, dans lequel elle décrit les tenants et aboutissants d’un commissariat de Versailles et de nombreuses affaires rencontrées au cours d’une année. Outre le fait d’avoir déplacé l’action dans la région grenobloise, avec les Alpes comme toile de fond impressionnante mais aussi oppressante, ce qui est fascinant ici, c’est que le cinéaste et son scénariste sont tous deux des hommes qui parlent des relations hommes-femmes en adaptant l’œuvre d’une écrivaine qui se penche sur l’univers masculin de la police criminelle. Dans le film, Marceau (Bouli Lanners, impeccable) et surtout Yohan (Bastien Bouillon) sont hantés par ce crime non résolu, trouvant constamment de nouveaux témoins ou de possibles coupables (toujours masculins), la plupart d’entre eux semblant correspondre à l’acte odieux commis dans le parc. La victime est Clara (Lula Cotton-Frapier), une jeune femme de 21 ans qui a été aspergée d’essence et enflammée alors qu’elle rentrait chez elle après une fête. Le détective principal, le capitaine Vivès (Bastien Bouillon), explore l’affaire sous différents angles, en parlant à une foule d’anciens amants de Clara, qui semblent tous avoir un motif pour l’assassiner. L’un d’entre eux (Baptiste Perais) insiste sur le fait que Clara était une amoureuse et qu’il a couché avec elle par pitié. Un autre (Jules Porier) était tellement jaloux de ses autres petits amis qu’il a enregistré un rap dans lequel il parlait de la brûler vive. Un autre encore (Benjamin Blanchy) prétend que Clara gardait ses ébats avec lui secrets par honte. Et ainsi de suite.

L’histoire est structurée en trois actes distincts. Le début présente le crime et les personnages. La partie intermédiaire s’intéresse aux témoins et aux coupables potentiels, tandis qu’un sentiment de déjà-vu et de frustration s’installe lentement, le temps passant sans que l’on parvienne à résoudre le crime ou à éliminer les suspects. La dernière partie se déroule trois ans plus tard, alors que l’affaire a été classée comme “non résolue”. Yohan, plus expérimenté maintenant, pense toujours à cette affaire comme étant “l’affaire qui a échappé à la justice”. Dans cette dernière partie, les choses se féminisent enfin, puisque Nadia (Mouna Soualem), une collègue féminine, est ajoutée à l’unité et qu’une femme juge (l’actrice chevronnée Anouk Grinberg) envisage de rouvrir l’affaire. Bien que cela permette à Moll de contraster ce qui a longtemps été le statu quo dominé par les hommes dans les services de police du pays avec une sorte de nouvelle ère qui ressemble au moins un peu plus à la réalité, ce choix fait aussi peser sur le troisième acte, relativement court, la charge de rendre enfin visibles tous les thèmes plus latents des deux premières parties. Cela donne un dernier acte beaucoup plus dense et plus complexe, mais qui semble un peu précipité. Cela dit, les deux premiers tiers du récit sont toujours captivants, Bouillon et Lanners s’investissant dans leurs rôles respectifs avec brio. Bien qu’il soit évident qu’ils pourraient jouer ces rôles en dormant, ils s’investissent pleinement dans le film, donnant vie à leurs personnages et à toutes leurs petites particularités.

Dans un sens, c’est l’ultime leçon de Memories of Murder de Bong Joon-Ho, et l’intérêt de La Nuit du 12 pour la psychologie obsessionnelle de flics blessés rappelle Zodiac de David Fincher. Mais ces films ont compris le pouvoir du sous-texte. La Nuit du 12 insiste un peu trop sur ses sujets, à tel point que Moll ne semble pas avoir vraiment besoin du spectateur. C’est le seul problème, ce qui l’empêche d’atteindre le statut privilégié de ses prédécesseurs/inspirations. Ça n’empêche qu’il faut le découvrir, pour tout le reste.

Note : 4 sur 5.

La Nuit du 12 au cinéma le 13 juillet 2022.

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