Il n’y a rien de plus beau que de voir Yolande Zauberman continuer à filmer amoureusement ses sujets. Avec La Belle de Gaza, elle retrouve ce style si singulier que l’on a découvert dans la merveille qu’est Clubbed to Death, où l’on suit, dans une fiction, les (més)aventures et déambulations d’Élodie Bouchez durant toute une nuit au sein d’une boîte de nuit (et aux alentours). C’est quand elle filme une femme déambuler la nuit entre les lumières vives et les lasers que la cinéaste parvient à atteindre une grâce inouïe, unique, qui touche chaque être au plus profond.
Dans ce nouveau documentaire-essai, Yolande Zauberman se rend à Tel-Aviv pour retrouver une âme en quête de sa véritable identité : une personne qui a quitté Gaza en tant qu’homme pour devenir femme dans la métropole israélienne. Cette quête la conduit à converser avec de nombreuses femmes trans qui peuplent les rues sombres et périlleuses de la ville. Ces rencontres, empreintes d’une sincérité inégalée, dévoilent des récits poignants de transition et de souffrance. Ce qui pourrait sembler être des entretiens classiques de documentaire se transforme sous l’œil attentif de la réalisatrice. La force de la caméra de Zauberman se révèle lorsque ces interviews, menées au cœur des rues dominées par une menace masculine omniprésente, bifurquent vers ces hommes qui s’arrêtent, lançant des regards empreints de désir et de mépris à ces femmes magnifiques qu’ils sont poussés à renier. Ainsi, une ambiguïté poignante se déploie, illustrée de manière particulièrement saisissante lors d’un entretien avec Nathalie. Cachée sous un voile et rejetée par sa famille, Nathalie se dévoile avec une vulnérabilité touchante, accentuée par les angles de caméra choisis avec une admiration palpable par la cinéaste.
Nathalie est accompagnée de son meilleur ami d’enfance, un compagnon de route qu’elle a connu lorsqu’elle était encore perçue comme un garçon. Leur relation, exempte de toute sexualité, repose sur une amitié profonde qu’ils doivent également dissimuler aux yeux de leur entourage. Ce lien pur et indéfectible ajoute une couche supplémentaire de complexité et de beauté à ce documentaire émouvant. En parallèle, Talleen Abu Hanna, couronnée première Miss Trans Israel en 2016, échappe désormais à la précarité et au danger de la nuit. Elle bénéficie du soutien de son père, qui, bien que réticent au début, a fini par accepter et appuyer son parcours. C’est dans ces moments que la mise en scène de Zauberman atteint son apogée. Lors d’une séquence improvisée où Talleen joue de la tar, cet instrument devient le symbole d’une prise de conscience profonde. Le père de Talleen, chauffeur de bus, discute de cette prise de conscience avec sa fille, assise à la rangée derrière lui, sur la droite. Zauberman, avec un talent incontestable, choisit de faire durer ce plan unique, filmant le père en train de conduire tout en capturant le reflet net du visage de Talleen sur la vitre. Ce reflet évoque l’image d’un ange sur l’épaule gauche du père, guidant ses paroles et ses actions. Cette scène, empreinte de symbolisme, illustre magnifiquement la transformation et l’acceptation, dévoilant un amour d’une perfection ultime de la réalisatrice pour ces femmes.
Car c’est cela La Belle de Gaza, un long métrage tourné quelques mois avant les horreurs inhumaines qui se perpétuent depuis le 7 octobre 2023, et qui célèbre toutes les formes de liberté. Ces femmes ont tout compris : qu’on soit juif, musulman, chrétien ou athée, acceptons tout le monde tant que ce monde nous accepte. Malgré les atrocités qu’elles ont subies et continuent de subir, elles conservent leur sourire, car elles sont enfin devenues ce qu’elles ont toujours été au fond d’elles-mêmes : des femmes. Avec cette perspective, on peut espérer voir naître l’espoir.
La Belle de Gaza de Yolande Zauberman, 1h16, documentaire – Au cinéma le 29 mai 2024