[CRITIQUE] Jujutsu Kaisen (Saison 2) – Le Désespoir fait vivre

Un succès populaire tel que celui de la série Naruto génère forcément des œuvres cadettes, creusant un même sillon, perpétuant un même langage. Parmi ces héritières du manga de Masashi Kishimoto, lui même sous l’influence de Dragon Ball et Hunter x Hunter, Jujutsu Kaisen est des plus frontales. Avec son trio de jeunes héros – dont l’un est habité par une entité démoniaque –, son sensei aux cheveux blancs, ses tournois trépidants et ses techniques de combat élaborées, le récit de Gege Akutami confirme à chaque nouvelle intrigue son voisinage avec les aventures de Naruto Uzumaki. Les ninjas en moins, les exorcismes en plus. C’est ici que l’inspirant et l’inspiré se séparent : plus nihiliste, le décor de Jujutsu Kaisen grouille de fléaux, manifestations physiques de la déprime humaine, que combattent ardemment les protagonistes. Après une saison palpitante mais désordonnée et un long-métrage préquel, son adaptation animée revient avec une seconde garnison d’épisodes dédiée aux événements de Shibuya, son passage le plus sadique et traumatisant à ce jour.

Mais avant de passer sa petite troupe de personnages à la rapière, la série s’attarde sur la génération d’avant, concernée par une ancienne mission, plus évidente, qui replace au centre de l’attention de vieilles liaisons et remet ainsi les pendules à l’heure. Si jusque-là l’intrigue avait refoulé au maximum les apparitions de Satoru Gojo, par peur de déséquilibre – le bonhomme est un véritable deus ex machina ambulant –, il est ici de tous les dialogues, envié par ses collègues (pour ceux qui le tolèrent) et ciblé par une bande de goules bien remontées. Eux également sont bien lucides quant à l’impasse dramaturgique dans laquelle se trouve l’œuvre de Gege Akutami avec un énergumène aussi costaud dans les pattes. Le flashback d’ouverture souligne ainsi sa toute-puissance, sa beauté angélique (rappelant le Griffith de Berserk), son tempérament de frimeur, mais surtout la nécessité de voir le personnage dégager pour que les autres aient une raison valable de progresser. Cette parenthèse nostalgique (plus bénéfique qu’on aurait pu le croire) refermée, Jujutsu Kaisen procède à son redémarrage avec une altération radicale du statu quo : la série trompe son spectateur en trucidant ses références et échappe aux conventions du shōnen avec des bastons absolument désespérées.

© Crunchyroll.

Il y a, derrière l’arc de Shibuya, l’idée d’une perte de contrôle, d’un vertige effrayant. Les protagonistes connaissent pourtant les règles du jeu par cœur, à toujours expliciter les dessous mystiques (et quelques fois barbants) de leurs pouvoirs, mais l’avalanche de violence est telle qu’elle froisse tout ce qui semblait acquis et les empêche de se terrer derrière leur savoir. Une violence qui surprend, en premier lieu, pour ses effets immédiats et irrémédiables. Ensuite pour sa durée, puisque cette mise en scène macabre s’étale sur une quinzaine d’épisodes fléchés par les cadavres. Les équipes du studio MAPPA rivalisent d’efforts, à partir de là, pour que l’imagerie coïncide avec le génocide orchestré par les méchants fléaux, notamment en hybridant une animation fine et léchée, magnifiée par des éclairages numériques, et un trait brouillon, intentionnellement imparfait, qui traduit l’effervescence du moment. Les effets sont sublimes, la pyrotechnie est sensationnelle, y compris lorsque la série d’animation se retrouve à combattre ses travers habituels.

Car cette deuxième saison souffre tout autant que la précédente de coupes grossières dans son intrigue, divisée en un nombre incalculable de points de vue pour autant de personnages dispensables, sûrement pour créer l’illusion d’un monde vivant, parcouru de robots mecha, pandas parlants, dresseurs de fléaux, etc. – une autre fenêtre sur les inspirations de l’auteur. Mais à morceler son scénario de la sorte, Jujutsu Kaisen rate parfois l’essentiel (au risque de faire passer un attentat terroriste pour une chasse au trésor) et doit patienter le retour de son héros originel, Yuji Itadori, l’adolescent possédé par le diable, pour se rebrancher aux enjeux dantesques qui chamboulent Tokyo. Sans les contrechamps donnant sur sa mine défaite, les événements de Shibuya ne se feraient pas aussi viscéralement ressentir. Reste que cette nouvelle flopée d’épisodes fait passer la série d’animation dans une nouvelle dimension, à la lisière du seinen (réservé aux jeunes adultes), pas gêné d’enterrer ses exorcistes populaires comme Kentarō Miura aurait pu le faire.

Jujutsu Kaisen, 2 saisons, 46 épisodes, 24 min, avec Jun’ya Enoki, Yûichi Nakamura, Junichi Suwabe – Sur Crunchyroll

8/10
Note de l'équipe
  • JACK
    8/10 Magnifique
    Après son flashback d'introduction, la deuxième saison de Jujutsu Kaisen déclenche un raz-de-marée si violent que la série semble totalement redémarrer. Ses références lui servent alors à tromper son spectateur, pris de court par des bastons absolument désespérées et dantesques.
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