Le documentaire Je vous salue, salope : La misogynie au temps du numérique réalisé par Lea Clermont-Dion et Guylaine Maroist nous plonge dans l’univers brutal de la cybermisogynie. À travers les témoignages poignants de quatre femmes et d’un homme, le film dénonce l’ampleur de la haine en ligne dirigée principalement envers les femmes. Cette œuvre se veut une exploration de l’expérience vécue, mais suscite également des réflexions profondes quant à son public cible et à la portée de son message.
Le documentaire s’ouvre sur des témoignages bruts, un accès direct aux vies bouleversées par la cybermisogynie. L’utilisation de récits personnels permet de créer une proximité émotionnelle avec les protagonistes, dévoilant la douleur, la frustration et la colère qu’elles ressentent. Ces témoignages révèlent la manière dont la haine en ligne peut envahir la vie quotidienne et affecter profondément les victimes, allant jusqu’à pousser certaines au suicide. Il pose une question cruciale : pourquoi les femmes sont-elles systématiquement ciblées par la haine en ligne, du passé au présent ? Cependant, il ne cherche pas à y répondre de manière exhaustive. Cette interrogation est une porte ouverte à la réflexion, nous invitant à creuser plus profondément dans les mécanismes complexes de la misogynie numérique.
L’une des forces du documentaire réside dans sa capacité à susciter de l’empathie auprès du public, en particulier des femmes qui ont peut-être déjà été confrontées à des formes plus légères de cybermisogynie. Les récits partagés évoquent des expériences communes, offrant ainsi la possibilité de se sentir comprises et soutenues. Cependant, le film peut laisser certains spectateurs avec un sentiment de perplexité. En effet, ceux qui sont directement (ou pas) touchés par la haine en ligne pourraient ne pas trouver de solutions concrètes dans le documentaire. La question de l’audience cible se pose donc inévitablement. Le film semble s’adresser principalement à un public féminin déjà sensibilisé aux problématiques de la cybermisogynie. Les femmes pourront s’identifier aux témoignages, mais pourraient également ressentir une frustration quant à l’absence de propositions de solutions pratiques. Quant aux hommes, souvent impliqués dans la propagation de la misogynie en ligne, ils pourraient être réticents à regarder ce documentaire, ce qui priverait les réalisatrices de l’occasion de changer les mentalités de ceux qui en ont le plus besoin.
Le film oscille entre la volonté de sensibiliser et celle d’inciter à l’action. Il dénonce la misogynie numérique de manière percutante, mais se contente parfois de dresser un constat sombre sans explorer pleinement les voies de résolution. Cette ambivalence peut nous laisser dans un état d’inconfort, partagé entre la colère et le désir de changement, mais sans savoir par où commencer. Le documentaire trouve néanmoins une lueur d’espoir dans le parcours de Laura Boldrini, femme politique italienne qui décide de prendre la responsabilité de créer une législation pour lutter contre le harcèlement en ligne et les discours de haine. Cet exemple montre qu’il est possible de passer de la dénonciation à l’action concrète.
Je vous salue, salope : La misogynie au temps du numérique est d’une grande importance, met en lumière les horreurs de la cybermisogynie. En dépit de quelques ambiguïtés, il reste un appel à la responsabilité collective pour créer un Internet plus sûr et plus inclusif. En fin de compte, il rappelle que la misogynie en ligne n’est pas un problème occasionnel, mais qu’elle est inhérente à la société dans son ensemble. Il faut changer ça. Vite.
Je vous salue salope : La misogynie au temps du numérique de Lea Clermont-Dion et Guylaine Maroist, 1h20, documentaire – Au cinéma le 4 octobre 2023.