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[CRITIQUE] Illusions perdues – Balzac serait Honoré

Xavier Giannoli porte habillement son adaptation des Illusions perdues d’Honoré de Balzac, l’histoire d’un jeune homme ambitieux qui s’enivre d’illusions artistiques et sociales dans le Paris de la Restauration (1814-1830). Attendu par beaucoup, le film ravit et émeut dans son exploration du “génie français”, dans un grand moment de cinéma. Le réalisateur français adapte l’œuvre d’Honoré de Balzac, dans un film romantique et critique sur l’ambition, la vanité, la société parisienne lettrée du début du XIXe siècle, une société et des individus pris entre une économie libérale de l’information et de la culture, et les intérêts d’une noblesse d’État monarchiste, conservatrice et réactionnaire. Le film présente deux cœurs qui battent l’un vers l’autre, mais qui ne parviennent pas à fusionner. Il y a le parcours de Lucien Chardon, d’une petite imprimerie anonyme d’Angoulême à l’éphémère gloire journalistique parisienne où il croit devenir Lucien Derubempré, et il y a l’approche critique sociale et culturelle de l’époque.

Ces deux axes sont développés dans leur profondeur et avec un grand style, élégant sans grandiloquence, dans un Paris reconstitué avec brio. Illusions perdues est un film très ambitieux, et une franche réussite qui vient conclure un très long projet pour le réalisateur. Celui-ci sort ici le grand jeu et allume un grand feu, au risque de brûler les fils de son brillant spectacle de marionnettes. Après L’Apparition, sorti en 2018, Xavier Giannoli entreprend sa plus grande œuvre. Un rêve et un projet de longue date, basé sur le roman qu’il a toujours rêvé d’adapter : Illusions perdues d’Honoré de Balzac. Avec un budget très conséquent de plus de 19 millions d’euros, une histoire qui mènera son héros d’Angoulême au Paris de la Restauration, Illusions perdues est à l’image de la démesure des ambitions de ses personnages. Xavier Giannoli réussit un très grand film, contrairement à d’autres qui se sont mal adaptés à ces conditions, on peut par exemple penser au très ambitieux mais navrant, Un peuple et son roi. Illusions perdues est en effet un cinéma d’émerveillement et de réflexion qui offre un très large éventail de sensations et d’émotions.

© Cinemien

Une des premières qualités du film, il creuse profondément ses thèmes mais prend soin de ne pas perdre son spectateur, le maintenant dans un spectacle visuel et sonore très efficace. Il réussit ainsi à captiver sur un sujet et dans un genre sur lequel l’ennui peut souvent planer. On ne s’ennuie jamais dans Illusions perdues. A la magnificence des salons et réceptions parisiens répond celle des costumes, aux dialogues mordants et ironiques des ambitieux s’oppose la délicatesse des sentiments amoureux. Au romantisme et à la pureté initiale de Lucien Chardon répondent encore le cynisme et l’arrogance de Lucien qui est presque devenu Derubempré, quand enfin au plaisir du succès éphémère s’oppose la tristesse poisseuse de la désillusion tenace qui suit. Pour incarner cette grandiose comédie humaine, le casting est exemplaire. Benjamin Voisin, idéal dans le rôle de Lucien transporté par des illusions puis rendu cynique et arrogant, Vincent Lacoste brillant et captivant en éditeur joyeux, désabusé mais drôle et léger, Cécile de France et Jeanne Balibar en femmes puissantes, la première sensible et douce, la seconde dominatrice et machiavélique. Notons également un parfait Xavier Dolan en écrivain à succès, très juste dans son ambition et aussi dans sa réelle humanité. Gérard Depardieu, Louis-Do de Lencquesaing et le très regretté Jean-François Stévenin, parfaits agents du chaos dans lequel tous se plongent avec délice. Le film brille donc par sa maîtrise et sa parfaite distance par rapport à tous les sujets qu’il aborde. La représentation de Paris et l’incarnation de la noblesse provinciale sont habilement menées, tout comme le suivi du parcours physique et psychologique de Lucien dans son ascension vers la gloire.

© Cinemien

Illusions perdues se vante de presque toutes les singularités du drame choral. Il est long, des pans entiers du film sont racontés en voix off, une méthode de narration ancienne qui est aujourd’hui considérée comme regrettable, il est absurdement extravagant, rempli d’unités habillées avec soin, de costumes qui pourraient se trouver dans des musées et de toutes les stars françaises que vous pouvez imaginer. C’est un cinéma si conservateur qu’il semble revenir à une époque antérieure. Mais comment pourrait-il en être autrement ? Balzac était lui-même un royaliste particulièrement conservateur, bien qu’il ait écrit sur les maux corrosifs du capitalisme avec le zèle brûlant d’un jacobin.

Illusions perdues nécessitait clairement une adaptation vraiment massive pour lui rendre justice. C’est précisément ce que fait Giannoli. Ce n’est peut-être pas révolutionnaire, mais c’est vraiment grandiose.

Note : 4 sur 5.

L’avis de la rédaction :

William Carlier

Xavier Giannoli signe une adaptation à la lettre du roman de Balzac, n’hésitant pas à prendre de la distance pour filmer ses personnages comme recourir à la caméra portée. Cela donne lieu à de grandes scènes d’une intensité dramatique absolument époustouflante, quitte à perdre son spectateur entre deux mondes. Puisque si le metteur en scène maîtrise aussi bien son sujet, c’est bien qu’il a saisi toute l’œuvre de Balzac, la perdition individuelle au sein d’un monde en pleine décadence. Devant la maladie, l’ambition et les troubles passionnels, les choix sont difficiles… Et il vaudrait peut-être mieux revenir à la case départ. Complétant magnifiquement en terme de registre, un film comme Les Enfants du Paradis de Marcel Carné (1945), où le monde artistique est entraperçu dans les coulisses et sur la scène, Illusions Perdues s’impose déjà comme une fresque historique mémorable ; en plus d’une adaptation exemplaire. Grand, oui !

Note : 4.5 sur 5.

Illusions perdues disponible à l’achat et à la location sur viva.videofutur.fr

Sortie au cinéma le 20 octobre 2021.

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