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Ick | La substance de trop

Ick a été choisi pour ouvrir la treizième édition du PIFFF. Réalisé par Joseph Kahn, un habitué du festival qui a marqué les esprits avec Detention en 2011 et Bodied en 2017, son dernier long-métrage, ce film signe son grand retour après sept ans d’absence. Le synopsis est simple : Hanck (Brandon Routh), un ancien quarterback devenu professeur, est piégé à Eastbrook où l’Ick, une substance jusque-là inoffensive, devient soudain agressive. Avant tout connu comme réalisateur de clips, le cinéaste a collaboré avec des artistes aussi variés que Korn, Snoop Dogg, Lady Gaga, George Michael ou Taylor Swift, s’imposant comme une figure incontournable de l’industrie musicale. Avec Torque, son premier film, il transpose au cinéma l’énergie et la dynamique propres à son travail de clippeur : montage effréné, rythme haletant et mouvements de caméra audacieux. Ice Cube, un artiste avec qui il avait déjà travaillé, y tient un rôle marquant. Ce style débridé, caractéristique de Kahn, s’exprime pleinement dans Detention et trouve une nouvelle ampleur ici.

Que l’on adhère ou non à son style de réalisation, celui-ci trouve une cohérence dans Torque, où il embrasse la vitesse de ses bikers pour créer une sorte de Mad Max bancal. Il en va de même dans Detention, qui s’assume comme une parodie de slasher totalement déjantée. Mais, comme son titre le suggère, il y a un hic dans Ick. On y retrouve la mise en scène typique de Kahn, avec ses mouvements de caméra incessants et ses cadres basculés, mais le film s’avère être une coquille vide. Il ne propose pas le moindre début de scénario, et aucun des nombreux personnages ne parvient à susciter le moindre intérêt.

Le long-métrage ambitionne d’être une sorte de The Blob mâtiné d’invasion zombie, mais son premier défaut est qu’on ne comprend jamais réellement la nature de la menace. Aucune règle cohérente ne semble la régir. L’Ick paraît inarrêtable et capable de se faufiler partout, mais, selon les caprices du scénario, il décide parfois de ne pas attaquer les personnages. Ce serait en effet dommage d’interrompre ces dialogues si splendides qu’aucun téléfilm de Noël sur M6 ne voudrait en hériter. Le rythme effréné laisse peu de place à la caractérisation des personnages, laquelle est expédiée de façon brute et désagréable. Prenons par exemple une scène emblématique du film : Hanck et Grace (Malina Weissman) se retrouvent coincés dans une voiture retournée après une attaque. Alors que Grace appelle à l’aide une dépanneuse via son cousin, la conversation dévie soudainement sur le fait que Hanck pourrait bien être son père. Pendant ce temps, la substance mortelle patiente poliment, n’attaquant pas les protagonistes, le temps qu’ils exposent en trois lignes maladroites toute la pseudo-dramaturgie du récit. Ces scènes de caractérisation, rares, sont paradoxalement celles où la mise en scène caractéristique de Kahn disparaît. Elles se réduisent alors à une enfilade de champs-contrechamps dénués d’énergie ou d’inventivité, accentuant encore l’ennui qu’elles suscitent.

Mais oublions les incohérences un instant. Même si l’on accepte de mettre de côté le fait que la menace de l’Ick, par son absurdité, ne suscite jamais la moindre inquiétude, le film souffre d’un autre défaut majeur : bien trop de scènes sont tout simplement illisibles pour le spectateur. Reprenons la scène où Hanck est poursuivi en voiture par des policiers zombies. On ne peut qu’être désolé de constater que Joseph Kahn échoue à établir clairement la distance entre les deux véhicules, qui varie constamment au gré de ses envies. À cela s’ajoute le montage totalement raté de l’impact avec une vache zombie. Il manque des plans essentiels pour rendre la scène compréhensible et permettre au gag de fonctionner. Ainsi, la voiture semble littéralement se téléporter sur l’animal, ruinant toute tentative de fluidité ou d’humour. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Les incohérences de distance et de cadre sont omniprésentes. Hanck se téléporte sans explication, tombe au sol, ou se retrouve dans une pièce voisine sans que le spectateur comprenne comment. Si cela relevait d’un choix comique assumé, pourquoi pas, mais ici, cela ne semble être que le résultat d’une paresse évidente et d’un désintérêt manifeste pour rendre les scènes lisibles et cohérentes.

L’Ick, réduit à un monstre en CGI, n’est qu’une bouillie numérique franchement laide. Cette impression est amplifiée par le fait que la créature n’apparaît que la nuit, un moment de la journée très mal filmé, ce qui la prive de toute mise en valeur. Mais Kahn ne discrimine pas : si sa créature est hideuse, il s’assure que tout son film le soit également. Dès le premier plan, on est frappé par le grain de peau des personnages. On croirait qu’un filtre Instagram a été appliqué sur la ville d’Eastbrook, rendant ses habitants artificiellement lisses et déshumanisés. Évidemment, aucun discours n’accompagne ce choix, juste une étrange envie de Kahn de rendre son objet visuellement repoussant, on suppose. Pour compléter ce désastre esthétique, il a cru bon d’inonder son récit (si l’on peut appeler ça ainsi) de dizaines de hits des années 2000. Mais là encore, aucune intention apparente, si ce n’est quelques regards sarcastiques de jeunes personnages jugeant ces morceaux ringards. Ah, ces jeunes « wokistes », qu’ils sont agaçants parfois ! Avec leur prétendue ouverture d’esprit et leurs discours progressistes, alors qu’en réalité, ils ne s’en servent que pour séduire (bon, d’accord, sur ce point, il n’a pas tout à fait tort). En présentant son film, Kahn affirme l’avoir réalisé pour les jeunes. Mais encore faudrait-il ne pas les traiter avec mépris. Sous une apparence faussement subtile, il distille un discours nauséabond sur l’Amérique contemporaine et sa jeunesse, un cynisme à peine dissimulé qui finit par imprégner l’ensemble.

De prime abord, Ick semble vouloir se présenter comme un Lolita Malgré Moi plongé dans une invasion zombie. Mais cet esprit teenage est rapidement gâché par une avalanche de morceaux musicaux et l’absence totale de message adressé à la jeunesse. Joseph Kahn la méprise ouvertement, illustrant leur prétendue idiotie dans les deux scènes où l’Ick s’invite à des soirées lycéennes. C’est pourtant dans ces passages que la mise en scène du réalisateur se manifeste le plus. On peut reconnaître une caméra virevoltante et quelques transitions ingénieuses entre les pièces des maisons. Mais à quoi bon ? Ces scènes ne servent qu’à montrer des lycéens se faire pulvériser par l’entité. L’image n’a aucun sens, aucune valeur, et le manque de règles expliquant le fonctionnement de l’Ick devient une excuse pratique pour décider arbitrairement qui survivra : personnage archétypal 1 ou personnage archétypal 2. Les adolescents, eux, se fichent de la menace. Tout ce qui les préoccupe, ce sont leurs hormones et leurs réseaux sociaux. Mais faut-il vraiment chercher un message dans un film qui ne repose que sur le non-sens, où chaque image semble dépourvue de tangibilité, et où certains plans semblent littéralement sortis d’une publicité pour le parfum Sauvage avec Johnny Depp ?

Les raisons de conspuer ce Ick ne manquent pas. Vous avez le choix : des protagonistes aussi vides que des coquilles (un hommage involontaire à Body Snatchers, peut-être ?), un scénario qui ressemble davantage à un gouffre béant, une photographie affreuse, une créature totalement ratée, ou encore l’intégration forcée d’une nostalgie des années 2000, époque où, apparemment, les jeunes n’étaient pas aussi stupides. Parvenir à faire passer Stranger Things pour un chef-d’œuvre, voilà un talent que tout le monde ne possède pas.