[CRITIQUE] Heureux Gagnants – Férocement Immoral

Il est aisé de critiquer les comédies françaises. Les studios semblent complices en déversant périodiquement des œuvres prônant une bien-pensance excessive, abordant de manière récurrente la quête identitaire, périlleuse dans notre société contemporaine et mettant en scène les déboires d’une certaine bourgeoisie face à certaines couches sociales marginalisées. Ces productions, conçues pour attirer nos aînés dans les salles obscures, se veulent légères et bien intentionnées mais souvent confondent humour et racisme latent. Cependant, parfois, émerge au-dessus de cette brume environnante une véritable farce, une farce qui surprend, qui blesse et qui fait sourire. Une comédie capable de nous gratifier de sourires et de rires, tels des heureux bénéficiaires.

Heureux Gagnants, un long-métrage à sketch réalisé par Maxime Govard et Romain Choay, narre les mésaventures de divers personnages ayant remporté le gros lot. Alors que la belle vie semble s’offrir à eux, la réalité les rattrape souvent de manière brutale, pour le pire. Il est bon de rappeler qu’un film à sketch est un long-métrage découpé en plusieurs saynètes partageant un thème commun, en l’occurrence ici, des individus victorieux au loto. Le principal défaut de ce genre cinématographique réside parfois dans la tentation du gag gratuit, dépourvu de véritable progression narrative. Cependant, soyez rassurés, les réalisateurs ont une vision cohérente : susciter en nous un rire parfois impitoyable.

Copyright Pascal Chantier – 2023 Les improductibles – Marvelous Productions – France 2 cinéma – C8 films

Chaque segment devient une fable sombre à part entière. Le récit, osant frôler les limites de la décence, se moque par moments des aspects les plus effroyables de notre société, mais tout cela dans le dessein de nous interroger sur notre rapport à l’argent. C’est grâce à une écriture à la fois déjantée et sincère que les personnages se laissent emporter par leurs instincts les plus primitifs. La réalisation, bien que classique, se révèle efficace, avec un sens du rythme et du montage propre au cinéma de Maxime Govard, dont les talents à tirer le rire même des sujets sensibles avaient déjà été démontrés dans Les Crevettes Pailletées. Le casting, remarquablement dirigé, est un véritable plaisir pour les spectateurs, en particulier avec le retour de Fabrice Eboué sur nos écrans après son excellent Barbaque sorti en 2021. Le reste de l’équipe artistique démontre également un talent fou, avec notamment Audrey Lamy, Anouk Grinberg, et surtout Sami Outalbali, dont le potentiel comique est indéniable. Cette distribution brillante se fait sentir dans chaque blague avec une efficacité redoutable.

On ne peut s’empêcher de penser que si cette comédie est à la fois provocatrice, violente, touchant et drôle, c’est qu’elle cherche à dénoncer les véritables problèmes de notre société. L’argent, pivot central de notre société capitaliste, est au cœur des malheurs et des drames intimes de nos personnages. S’il nous fait rire et sourire, c’est aussi pour mieux nous amener à réfléchir sur notre propre rapport à cette matière transactionnelle. Les sketchs bousculent nos convictions de citoyens au-delà de son apparente trivialité. C’est là l’une des forces majeures de cette œuvre, qui, en plus de son aspect comique, laisse le spectateur avec des interrogations, notamment grâce à un final empreint de douce amertume.

Heureux Gagnants est une comédie noire délicieuse et jouissive, forte en caractère, que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher de l’excellent Les Nouveaux Sauvages de Damiàn Szifron. Aussi impertinent que tendre, aussi drôle que poignant, cette nouvelle ingénieuse tranche de rire a le pouvoir de réconcilier les spectateurs avec les comédies françaises. Même s’il est difficile d’en parler sans déflorer les intrigues et les blagues du film, on vous encourage vivement à vous laisser emporter par cette diabolique exagération.

Heureux gagnants de Maxime Govare et Romain Choay, 1h43, avec Audrey Lamy, Fabrice Eboué, Anouk Grinberg – Au cinéma le 13 mars 2024

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