Mad Max : Fury Road n’était pas chiche en métaphores. Le désert dans lequel prenait place sa course-poursuite infernale, pour citer l’une de ses plus vives allusions, tenait pour inspiration l’état de l’industrie du blockbuster : un vaste champ de poussière où tout se ressemble et meurt. George Miller dynamitait l’endroit, purement et simplement, et en profitait pour mettre à jour les fondements de sa mythologie, laissée au repos depuis trente ans. Le cinéma à grand spectacle n’a malheureusement pas muté pour le mieux après cette déflagration filmique. Quelques semaines plus tard, c’était au tour de Jurassic World et Star Wars VII d’éveiller la nostalgie du grand public et de placer l’industrie sous le joug de la fétichisation des vieilles licences. Miller, du haut de ses soixante-dix-neuf printemps, revient donc frapper dans la fourmilière avec la même botte (la licence Mad Max) mais en changeant sa façon de procéder : si Fury Road se suffisait d’un aller-retour à travers un océan de sable, flamme et transpiration, Furiosa : une saga Mad Max s’étire en chapitres et décennies pour concevoir sa légende. La sienne, en tant que phénomène cinématographique et pyrotechnique, et celle de son héroïne, déjà sur le devant de la scène dans le précédent opus.
Pour la première fois, la franchise se sépare du baroudeur éponyme, le temps d’un préquel aux aspects de conte initiatique, et donne les pleins pouvoirs aux personnages d’à côté : les motards dégénérés, les cannibales, les misérables qui croisent leur route, Furiosa, donc, et ce décor qui prend le nom de Désolation, étendue brûlante que Miller révèle dans toute sa décadence. Le virage n’est guère surprenant pour une série de films ayant œuvré au renouvellement à chacun d’eux, encore moins après un épisode qui larguait les accroches narratives de ses aînés pour atteindre un niveau de vélocité rarement observé. Furiosa en hérite partiellement, lorsque son metteur en scène retourne aux courses-poursuites, pied au plancher, et condense la dramaturgie en une suite de mouvements, de cliquetis synchronisés et de regards éclairs qui forment une symphonie dantesque. Mais ce vacarme qui faisait le cœur de Fury Road n’est ici qu’une étape au sein d’un schéma élargi car, comme le sous-titre l’indique, George Miller bosse bel et bien à l’érection d’une saga.
Le réalisateur australien se donne alors pour mission de rendre concret ce qui n’était qu’abstrait. Les paradis perdus et les cités excentriques sont parcourus, comme leurs galeries hiérarchiques et économiques, les figurants d’avant obtiennent de la voix (notamment ceux bousillés par le Max de Tom Hardy) et les panoramas les plus larges sont raccourcis par les installations humaines et leur fumée épaisse. De surcroît, l’enrichissement de son univers et sa dimension mythologique pousse le blockbuster à réfléchir à sa verticalité, parfois au long de l’action (l’apparition de parapentes lors d’un convoi, qui force à lever le regard), parfois pour le plaisir de la symbolique (l’escalade contrariée d’une fillette). Un moyen parmi d’autres pour le cinéaste de compléter la forme strictement linéaire du circuit de 2015, dont Furiosa se veut à la fois le prolongement graphique (même palette de couleurs criardes) et l’antithèse (sur le plan narratif et rythmique).
Élever sa caméra ne lui fait pas déconsidérer la puissance suggestive du désert, théâtre de la folie des hommes fièrement relocalisé via un travelling entamé depuis l’espace, mais Miller lui fait cependant perdre de sa rugosité en se détachant du sol et en assumant une plastique numérique qui confine au surnaturel. Ses incrustations à foison, ses gueules retouchées, le rebondissement des artefacts de synthèse et la dynamique exponentielle des affrontements motorisés ramènent à l’imaginaire cartoonesque du réalisateur, qui n’avait jamais autant déteint sur la saga qu’avec ce préquel délirant. Furiosa a toutefois le bon goût de ne pas franchir la frontière de l’humour. Ce n’est pas faute de situations ubuesques, ni de protagonistes baroques – Chris Hemsworth performe dans ce registre. Réchauffé par une image aride et la hargne de son personnage-titre, ce cinquième épisode décline les obsessions de la franchise (vengeance, déclin du monde, innocence violée, mais aussi espoir et transmission des mythes) avec beaucoup de sérieux, de rage et un peu de cynisme. Une peinture apocalyptique dans laquelle les fables sont comme des remparts face au chaos et au désespoir. Une ode aux légendes, en somme. Pour les mettre en boite avec tant de panache, il n’y a que George Miller.
Furiosa : Une saga Mad Max de George Miller, 2h28, avec Anya Taylor-Joy, Chris Hemsworth, Tom Burke – Au cinéma le 22 mai 2024.
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JACK8/10 MagnifiqueFuriosa n'hérite que partiellement de la vélocité du précédent volet, lui préférant tension et durée, pour mieux inscrire son héroïne en tant que légende. La symphonie est toujours dantesque, même si moins surprenante et orgasmique, et George Miller peut conserver sa couronne.
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William Carlier9/10 Exceptionnel
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Vincent Pelisse8/10 Magnifique
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Louan Nivesse9/10 Exceptionnel