[CRITIQUE] Falcon Lake – Désirs fantômes

Il existe une pléthore de récits d’initiation qui entremêlent avec brio le réalisme magique et la sensibilité dramatique, une alchimie que je trouve captivante et envoûtante. Falcon Lake de Charlotte Le Bon amorce son récit d’une façon qui pourrait paraître conventionnelle, mais se distingue rapidement par des éléments hypnotiques qui lui confèrent une singularité saisissante. Ce qui est d’autant plus remarquable lorsqu’on reconnaît qu’il s’agit de son premier essai cinématographique. Falcon Lake se déploie tel un ballet entre le récit d’initiation et le mystère spectral, établissant une harmonie délicate entre romantisme et anxiété, où le charme se conjugue avec le mystère.

Le long-métrage se présente comme une œuvre cinématographique d’horreur, accompagnée d’une partition sinistre signée Shida Shahabi. L’intrigue se déploie sous la canicule estivale, nous transportant au cœur des Laurentides, au Québec, où une famille parisienne rend visite à des amis. Au fil de ces longues vacances, se tisse un lien inattendu entre deux âmes solitaires : Bastien (interprété par Joseph Engel), quatorze ans, et Chloé (jouée par Sara Montpetit), seize ans, la fille des hôtes. Ces deux jeunes ébauchent une relation timide mais précieuse, qui fleurit le temps d’un été. Grâce à la réalisation de Charlotte Le Bon, à son scénario – œuvre de l’auteure de la bande dessinée -, et à la prestation remarquable des jeunes acteurs, le film capte avec finesse le sentiment inaugural de l’amour. Tout en jouant avec les codes du genre, notamment ceux de l’horreur et du drame, Le Bon exprime avec charme la manière dont les adolescents naviguent entre désirs naissants, petites frayeurs et l’entrelacement d’une histoire de fantômes, le tout ponctué de séquences adorables où l’éveil des cœurs se dessine.

Chloé, avec son aura singulière, émerge comme le pivot central de l’intrigue, bien que les deux protagonistes aient l’opportunité équitable de captiver le spectateur par leurs performances éclatantes. Obsédée par le souvenir d’une jeune fille récemment disparue dans les eaux sombres du lac, elle incarne une présence mystique émanant de cet élément liquide, revêtant par moments les habits d’un fantôme. Son dialogue teinté de réflexions sur la mort et la douleur évoque subtilement l’atmosphère mélancolique des sœurs Lisbon dans l’œuvre de Sofia Coppola, Virgin Suicides. Toutefois, contrairement à elles, Chloé semble choisir de s’abandonner à une forme de mort symbolique, se lançant dans des actes téméraires tels que flotter sans fin sur les eaux du lac voisin ou se coucher sur la route, feignant une victime de collision. C’est cette aura de mystère qui pique l’intérêt de Bastien, en quête d’évasion de sa jeunesse, voyant dans sa relation naissante avec Chloé une porte ouverte vers l’aventure. Même si elle ne dure qu’un été, il aspire à cette expérience, conscient que ces souvenirs perdureront toute une vie.

Malgré les éléments sombres et la photographie énigmatique capturée avec brio par le directeur de la photographie Kristof Brandl, au cœur de Falcon Lake se nichent davantage de moments de bonheur que ne laisserait présager son introduction empreinte d’effroi. L’obscurité est adoucie par des échanges teintés d’humour et des séquences romantiques qui façonnent lentement une tension sous-jacente, suggérant que le dénouement ne sera pas nécessairement baigné de lumière et de roses. La trame des fantômes vient hanter un romantisme ardent ; comme souvent, une fois que la tragédie frappe, elle s’installe pour de bon. Cette maîtrise narrative, propre à Le Bon, laisse entrevoir des signaux de la chute imminente tout en captivant le public par la relation naissante des personnages. Ce qui semblait initialement séduisant et réconfortant se mue progressivement en une mélancolie pure.

Ce n’est pas un amour voué à l’échec, mais plutôt un reflet éphémère du coup de foudre, une symbiose onirique ternie par des cauchemars insaisissables. Est-ce une réflexion sur les tourments inhérents à la croissance d’un amour juvénile ? Ou bien une représentation de la distance induite par la solitude, lorsque l’on aspire à se fondre dans la masse et que l’on trouve enfin une âme qui nous accorde son attention ? En réalité, c’est cela et bien plus encore. En laissant une marge d’interprétation ample, chaque spectateur peut disséquer Falcon Lake selon sa propre perspective, tant ce récit se drape de multiples strates à explorer. Pourtant, toutes les voies tracées convergent vers la tragédie une fois que le rideau tombe. Charlotte Le Bon déploie avec une dextérité cinématographique une palette d’éléments expressifs et mystérieux dans cette adaptation. Une chose est certaine : j’attends avec impatience son prochain projet. À mesure que ses compétences s’affinent et que son écriture gagne en maturité, l’espoir de découvrir une nouvelle œuvre captivante, capable de dérouter le spectateur, se profile à l’horizon.

Cette œuvre m’a profondément ému. Elle résonne comme une expérience cinématographique qui évoque les chaudes journées estivales, le souvenir du premier baiser, voire la douleur de la première perte significative, et cela n’est que bénéfique.

Falcon Lake de Charlotte Le Bon, 1h40, avec Joseph Engel, Sara Montpetit, Monia Chokri – Au cinéma le 7 décembre 2022

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