[CRITIQUE] Entre les lignes – Titre plus qu’honnête

Lorsque la littérature se voit projetée sur l’immense toile cinématographique, elle suscite naturellement des attentes d’une adaptation éclairée, où les mots se muent en images et où les protagonistes se métamorphosent en chair et en os sous les projecteurs. Toutefois, dans le cas de l’adaptation d’une œuvre littéraire, il est impératif de démontrer une sensibilité artistique exceptionnelle, de respecter scrupuleusement l’essence du texte originel et de démontrer la capacité à transcender le verbe écrit pour capturer la quintessence de l’intrigue. Malheureusement, Entre les lignes d’Eva Husson, inspiré du roman Le Dimanche des mères de Graham Swift, échoue de manière flagrante dans cette entreprise exigeante. À travers une mise en scène prétentieuse et dénuée de profondeur, ce film rate lamentablement l’opportunité de restituer l’intégralité de la poésie et de la complexité qui se trouvent dans l’ouvrage source.

Le roman Le Dimanche des mères de Graham Swift exhale une poésie enchanteresse, une sensualité captivante et une profondeur émotionnelle indéniable. Cependant, Eva Husson semble s’être égarée dans sa tentative d’adapter cette œuvre magistrale. Bien que la trame narrative soit préservée, elle s’avère incapable de saisir l’âme de l’histoire. Le film est englouti par une réalisation prétentieuse et une esthétique visuellement attrayante, mais qui ignore ostensiblement la psychologie des personnages ainsi que le contexte social essentiel. Les choix de mise en scène d’Husson, tels que les ralentis injustifiés, les plans inutiles focalisant sur les pieds, les doigts et les visages, ternissent le récit au lieu de l’enrichir. L’histoire classique et l’époque auraient mérité une approche plus sobre et subtile, à l’instar de réalisateurs tels que James Ivory. Husson semble être la proie d’un complexe de grandeur, cherchant à complexifier inutilement la narration au lieu de privilégier la simplicité, même si cette dernière aurait été moins originale.

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Le long-métrage aurait pu constituer une exploration profonde des barrières sociales et du deuil qui assombrissaient l’aristocratie britannique après la Première Guerre mondiale. Malheureusement, la réalisatrice échoue à insuffler la vie nécessaire à ces thèmes essentiels. Les personnages sont sous-développés, les dynamiques de classe sont à peine effleurées, et l’aspect social est étonnamment négligé. La complexité des relations entre maîtres et domestiques aurait pu être exploitée bien plus efficacement pour éclairer la condition de ces personnages. Malgré les efforts des acteurs, parmi lesquels Josh O’Connor, Colin Firth et Olivia Colman, la mise en scène ne parvient pas à exploiter pleinement leur talent. Les personnages principaux sont tristement mal servis et manquent d’occasions pour briller. Les dialogues insipides et les scènes dénuées de signification entravent la véritable expression des acteurs. L’exceptionnelle Glenda Jackson fait une apparition tardive dans le film, mais cela ne suffit pas à inverser la tendance.

Une des tentatives dramaturgique pour se distinguer réside dans son choix d’une structure narrative non linéaire. Cette approche n’apporte aucune signification véritable à l’intrigue. Les flash-forwards et les flashbacks apparaissent plus obscurs qu’énigmatiques, rendant difficile tout lien émotionnel avec les personnages. Le film effleure l’impressionnisme sans parvenir à transcender cette esthétique pour toucher véritablement la substance de l’histoire. Enfin, Entre les lignes déçoit profondément en ne tenant pas ses promesses. Le roman de Graham Swift offrait une histoire riche en émotions, en romance et en commentaires sociaux. La réalisation d’Eva Husson n’est malheureusement pas à la hauteur de traduire ces éléments de manière significative à l’écran. Les moments de beauté sont ternis par une mise en scène prétentieuse, tandis que la profondeur des personnages est sacrifiée au nom de l’esthétique.

Fallait-il nourrir des attentes envers le nouveau film de la réalisatrice de Bang Gang et des (les) Filles du soleil ? La réponse est un non catégorique. Cependant, la déception est d’autant plus aiguë que l’on avait caressé l’espoir d’une réalisation plus accomplie. C’est une occasion manquée qui se fond rapidement dans l’oubli, laissant le livre de Swift perdurer sans que l’on éprouve la nécessité de mentionner cette piètre adaptation.

Entre les lignes d’Eva Husson, 1h44, avec Odessa Young, Josh O’Connor, Colin Firth – Au cinéma le 4 octobre 2023.

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