[CRITIQUE] Domingo et la brume & Le Marchand de Sable – Fantôme et société

Domingo et la brume, Ariel Escalante Meza

Domingo et la brume, le deuxième long métrage du scénariste et réalisateur costaricain Ariel Escalante Meza, suit le veuf du nom (Carlos Ureña) qui résiste à des voyous déterminés à lui faire vendre ses terres pour faire place à une nouvelle autoroute. Le jour, il est hanté par les bruits lointains de la construction et des coups de feu alors que les brutes prennent progressivement pied dans la région, ses amis proches faisant les frais de la situation, mais la nuit, Domingo est hanté dans un sens plus littéral, le fantôme de sa femme lui rendant visite à travers la brume.

© Epicentre Films

Au fond, Domingo et la brume est le portrait sombre d’un homme qui s’efforce de se débarrasser d’un passé qui pèse lourdement sur sa conscience. Meza traduit cette personnalité par une photographie délicate qui crée une fenêtre intime sur l’expérience de Domingo. De même, un ratio optique restreint donne l’impression d’un monde autonome qui n’existe que dans les limites du cadre. Le cinéaste permet à ces plans soigneusement élaborés de perdurer, laissant la place à l’atmosphère qui s’installe progressivement et transporte les spectateurs dans le monde de Domingo. Cependant, ce sont les performances nuancées d’Ureña et du reste de la distribution qui portent avec assurance l’essentiel du scénario. Lorsque la brume s’installe, la scène est enveloppée d’un voile fantomatique et le ton se transforme en quelque chose de partiellement surnaturel et éthéré. C’est là que les images du film sont les plus belles, Meza faisant un excellent usage de la lumière et du son pour établir un ton distinct du reste de sa réalisation (bien que l’existence ou non d’un esprit soit quelque peu ambiguë, puisque seul Domingo est capable de communiquer avec lui). Sur le plan esthétique, ces scènes sont exquises et donnent une interprétation unique de ce que peut signifier un fantôme. Cependant, peu de choses sont faites pour rendre l’intrigue générale aussi captivante.

Comme la brume tourbillonnante, le rythme se maintient, dérivant d’un endroit à l’autre avant de passer au suivant. Tout comme la brume, l’intrigue n’est pas solide. Malgré la situation précaire de Domingo, il n’y a pas de véritables enjeux ni d’urgence à ce que les événements deviennent plus pressants. Une poussée d’énergie donne le coup d’envoi d’un dernier acte soudain, mais la tension se dissipe presque aussi vite qu’elle est apparue, laissant les spectateurs avec une fin qui les feront gémir d’ennui et de frustration.

Note : 3 sur 5.

Domingo et la brume d’Ariel Escalante Meza, 1h32, avec Carlos Ureña, Sylvia Sossa, Esteban Brenes Serrano – Au cinéma le 15 février 2023.


Le Marchand de Sable, Steve Achiepo

© Lea Renner

C’est la guerre en Côte d’Ivoire qui a conduit Félicité à sonner chez Djo et sa famille, en banlieue parisienne. Accueillie chaleureusement, elle ne peut rester avec ces cousins. Récemment libéré de prison, Djo vit avec sa mère, mais ses oncles et tantes vivent aussi ici dans ce petit espace. Le jeune homme se tourne vers son employeur à la tête d’une société de livraison douteuse pour trouver un toit à Félicité et ses enfants. Pour son premier long métrage, l’acteur et réalisateur Steve Achiepo dépeint avec acuité le monde des marchands de sommeil. Point fort et point faible de son film, il épouse plusieurs points de vue : le désarroi de Félicité (Aïssa Maïga), probablement bien lotie dans son pays mais menacée de dormir dans la rue avec ses enfants en France, qui donne un visage à cette immigration ivoirienne, Aurore (Ophélie Bau), ex de Djo et mère de sa fille, assistante sociale impuissante face aux besoins urgents de logement, enfin, Djo lui-même (Moussa Mansaly), pris entre la solidarité avec ses compatriotes et ses intérêts personnels et familiaux. En élargissant la réflexion à plusieurs protagonistes, Le Marchand de Sable livre un récit dispersé, mais rend compte avec force de tous les paramètres d’un terrible engrenage. Sous couvert de loger des réfugiés, Djo ferme les yeux sur l’indignité des appartements et participe au petit trafic humain des marchands de sommeil.

Ancien agent immobilier, Steve Achiepo a accepté, lors d’une mission, la consigne raciste imposée par un propriétaire : pas de locataire noir ! Inspiré par cette expérience de compromis, il tisse le personnage de Djo, avec ses contradictions et son déni. Le Marchand de Sable est ainsi moins un tableau de mafia qu’un tableau social donnant à chaque personnage toute sa complexité.

Note : 3 sur 5.

Le Marchand de Sable de Steve Achiepo, 1h46, avec Moussa Mansaly, Aïssa Maïga, Ophélie Bau – Au cinéma le 15 février 2023

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