Michel Houellebecq incarne une personnalité singulière, alliant renommée littéraire et ironie à l’égard de son comportement désolant. Son évolution dans les films de Guillaume Nicloux est véritablement fascinante. Au fil des ans, le cinéaste a élaboré des scénarios pour légitimer la présence d’une caméra, suivant les péripéties absurdes qui ont toujours suscité une forme de curiosité, bien que parfois teintée de malaise.
Le HCU (Houellebecq Cinematic Universe) voit le jour en 2014 avec L’Enlèvement de Michel Houellebecq, librement inspiré d’un fait divers survenu en 2011, lors de la soudaine disparition de l’écrivain. Cet événement a alimenté les spéculations médiatiques pendant plusieurs jours, alors que notre Michel se reposait paisiblement en Espagne. Nicloux s’inspire de cet épisode pour présenter un Houellebecq fatigué d’une existence marquée par des questionnements métaphysiques incessants et lassé de la vie elle-même. L’écrivain se retrouve confronté à trois aficionados de la musculation et des arts martiaux, et les échanges se réduisent à de simples punchlines, agrémentés de réflexions sur la société et l’actualité, comme si l’on tendait un micro à Houellebecq pour recueillir ses opinions, avec une dose supplémentaire de surréalisme et d’absurde.
Le rapt évolue rapidement vers une comédie absurde où notre protagoniste semble être totalement indifférent à sa situation, préférant tisser des liens avec ses ravisseurs ainsi qu’avec les parents de l’un d’eux, Gigi et Dédé. Malgré le fossé culturel évident qui les sépare, notamment évoqué par Michel à propos du passé polonais, il est remarquable de constater qu’aucun obstacle ne semble se dresser entre Michel et cette famille d’accueil. Autour de la table, chacun exprime des opinions discutables et défend des passions, le free-fight et le bodybuilding pour ces Polonais étant ce que la poésie et le roman représentent pour Houellebecq. Ce divertissement, aussi plaisant que parfois troublant, laisse transparaître des prises de position douteuses. Il convient de rappeler que notre auteur est perçu comme un “vieux con” de plus en plus étranger à la société qui vieillit avec lui. Imaginez cette première œuvre cinématographique comme un repas de famille sympathique perturbé par moments par un oncle trop proche de sa bouteille.
Cinq années après son enlèvement, Michel Houellebecq rejoint Gérard Depardieu dans Thalasso. Il s’agit du deuxième long-métrage du HCU, où deux personnages atypiques sont plongés au cœur d’un système qui ne leur convient pas, et où l’on assiste à leur ingénieuse tentative de contourner les règles imposées. Les interdictions de cigarettes et d’alcool, les massages et les soins à la boue laissent vite transparaître que cet endroit n’est pas fait pour nos deux protagonistes. L’un préférerait s’éteindre en silence dans son lit, tandis que l’autre aspire à repartir en road-trip avec Arte pour déguster des espèces en voie de disparition (ou à s’envoler avec Yann Moix pour commettre des actes d’agression et de harcèlement en Corée du Nord). Des gorgées de vin prises en cachette dans leur chambre et des conversations décousues s’ensuivent. Les procédés comiques du film sont davantage verbaux, parfois teintés d’intellectualisme, que gestuels, mais malheureusement, ils se révèlent inégaux tout au long du récit. Si l’on rit volontiers de leurs réflexions cyniques sur leur environnement – les échanges sur la cryothérapie ou les installations d’art contemporain sont particulièrement hilarants – Nicloux gâche ces moments en y introduisant des scènes pathétiques qui vont à l’encontre du ton général. Il ne s’agit pas seulement d’un oncle gênant autour de la table, mais bien de deux. Ensemble, ils sont redoutables. Et cela devient véritablement embarrassant.
L’arrivée en salles de Dans la peau de Blanche Houellebecq suscite donc de nombreuses interrogations. Guillaume Nicloux demeure ambigu, se tenant en retrait derrière sa caméra. Il est difficile de discerner ce qu’il pense réellement de ce qu’il filme. Cependant, son œuvre précédente, La Tour, a certainement trahi une facette de son personnage. Avec ses représentations multiculturelles teintées de racisme et une mise en scène dépassée, ne serait-il pas enclin à incarner lui-même ce “vieux con” qu’il capture à l’écran ? La première scène d’introduction nous met le doute. On retrouve Michel Houellebecq en train de discuter avec le cinéaste Gaspar Noé, qui lui présente son nouveau projet. L’échange est hilarant. Rien que le fait d’imaginer l’auteur dans un film irrévérencieux et violent de Noé est drôle. Encore plus quand ce dernier insiste sur le fait qu’il devra jouer une scène de sexe. Les deux hommes sont interrompus par Françoise Lebrun et Jean-Pascal Zadi. Ainsi, la séquence devient un énorme kamoulox où l’autodérision prend le pas. C’est assez unique à découvrir. Malheureusement, peut-être aurait-il fallu s’arrêter là.
Houellebecq est cette fois-ci invité en Guadeloupe, où se tient un concours de sosies qui lui est consacré, présidé par l’humoriste Blanche Gardin. On aurait pu rêver que ces deux-là se rencontrent : même dépression dans le regard, même comique indolent. Ce troisième – et espérons-le, dernier – long-métrage du HCU se présente comme une plongée désespérément cynique dans l’obscurité de l’esprit de l’écrivain controversé. Plutôt qu’un divertissement, il semble être une descente aux enfers dans un univers nihiliste. Houellebecq, en fusionnant avec son personnage principal, nous livre une exploration sans concession de la noirceur de l’âme humaine. Son écriture, aussi tranchante qu’une lame rouillée, se marie parfaitement avec une esthétique visuelle morne, créant une ambiance déprimante qui pèse lourdement. Nicloux ne cesse de baisser la qualité de l’image, filmant à l’épaule (ou à l’Iphone) pour donner une représentation morne et désagréable, reflétant la personnalité qu’il filme. Houellebecq est dépeint comme une masse informe, une larve qui déambule sans âme, et le cinéaste semble se complaire à ne pas le mettre en valeur.
Abordant des sujets sensibles tels que les relations homosexuelles, le racisme et l’appropriation culturelle, le film évite toute échappatoire à sa noirceur. Même les opinions personnelles de Houellebecq, telles que son opposition à l’euthanasie, sont présentées de manière cynique, comme si l’humanité était vouée à sombrer dans le néant. Pire encore, le film se moque ouvertement des efforts d’engagement et de changement social. Blanche Gardin, dans son rôle, incarne cette désillusion amère, soulignant l’inutilité de toute forme d’action face à la corruption et à la vacuité de notre société. Tous ces sujets sont mélangés sans cohérence, entrecoupés de véritables interviews de résistants anticolonialistes et d’images générées par une IA montrant des champignons comme deux personnes noires s’embrassant. L’ensemble est traité avec la même finesse que La Tour, une multitude de clichés caricaturés où l’on ne sait pas s’il faut les prendre au premier ou au dixième degré. Sur le papier, le scénario est bien écrit et Nicloux semble bien informé sur certains sujets. Cependant, il est difficile d’accepter l’inclusion de Michel Houellebecq dans le film, sous prétexte qu’il est drôle, alors que certaines de ses pensées contredisent apparemment les convictions du cinéaste. Tout comme Franky Vincent, d’ailleurs.
Dans l’ensemble, Dans la peau de Blanche Houellebecq se révèle être une comédie ambiguë, dans la lignée de la filmographie de son réalisateur. Il s’agit d’un moment dépourvu de rythme, où de nombreuses scènes inégales abordent des sujets différents sans pour autant susciter l’intérêt du spectateur. On peut toutefois saluer l’écrivain pour sa capacité à courir rapidement dans un couloir, sans aucune coupure de caméra, dans le seul but d’aller uriner. Trouvez-vous cela intéressant ? C’est normal, ce ne l’est pas.
Dans la peau de Blanche Houellebecq de Guillaume Nicloux, 1h28, avec Blanche Gardin, Michel Houellebecq, Luc Schwarz – Au cinéma le 13 mars 2024