[CRITIQUE] Coupez ! – L’envers du zombie capitaliste

Le film qui a eu l’honneur d’inaugurer le Festival de Cannes 2022 est nul autre que Coupez !, la dernière réalisation de Michel Hazanavicius, l’homme derrière le célèbre OSS 117 – Le Caire, nid d’espions. Ce qui distingue ce long-métrage, c’est son statut de remake français de “Ne coupez pas !”, l’étonnante comédie zombie de 2017 signée du réalisateur japonais Shin’ichirō Ueda. Ce dernier avait su créer un film d’horreur gore d’une profondeur saisissante, célébrant l’art cinématographique tout en insufflant une dose d’innovation. Dès lors, pouvait-on craindre que cette adaptation française ne parvienne pas à saisir l’essence de l’original ? La réponse à cette interrogation est un franc oui.

Dans Coupez !, un groupe de cinéastes français se démène pour tourner un modeste film de zombies au sein d’une usine désaffectée. Le réalisateur, campé par Romain Duris, règne en tyran sur le plateau, enchaînant les prises pour extraire une authenticité émotionnelle de sa principale actrice, interprétée par Matilda Lutz. L’équipe, de plus en plus exaspérée par cette tyrannie, se retrouve plongée dans un véritable cauchemar lorsque de véritables morts-vivants font leur apparition pour attaquer les protagonistes. La frontière entre fiction et réalité devient floue, que ce soit une partie intégrante du tournage ou une malédiction résultant d’expérimentations japonaises de l’ère de la Seconde Guerre mondiale. Le réalisateur, quant à lui, semble se moquer des circonstances, poursuivant la captation de l’effroi de son équipe pour insuffler une dose de véracité à son film. Les mystères s’entremêlent, le réalisateur semble en savoir plus qu’il ne le laisse paraître, et des regards caméra ainsi que des pauses énigmatiques ajoutent une touche de mystère à l’ensemble. La vérité éclate lors du générique, révélant que le spectateur vient d’assister à un court-métrage de zombies tourné en un seul plan-séquence. Le reste du film se focalise sur les divergences créatives, les tensions et les déboires en coulisses. Le personnage de Duris incarne un réalisateur authentique, poussé par certains producteurs à réaliser un remake du film présenté dans “Ne coupez pas !”. Cette mission englobe son contrôle sur les acteurs, tels que Raphaël, présenté comme “le futur Adam Driver français”, profondément attaché aux questions sociologiques sous-jacentes à un film de zombies. Puis, il y a Nadia, la maquilleuse, jouée par Bérénice Bejo, laquelle est la compagne de Rémi, un ancien acteur devenu la tête d’affiche en raison d’un accident de voiture impliquant l’un des acteurs. Avec ces multiples obstacles sur leur chemin, Rémi et son équipe parviendront-ils à mener à bien leur court-métrage en plan-séquence ? Comment Rémi s’est-il retrouvé dans le rôle principal ? Et le film rapprochera-t-il Rémi de sa fille Romy, une aspirante cinéaste ?

Copyright Lisa Ritaine

Hazanavicius, qui a également rédigé le scénario et contribué au montage, a incorporé des éléments distinctifs soulignant l’essence de ce remake. Le projet est expressément qualifié de tel à maintes reprises. À un moment, Rémi visionne une séquence du film original. De plus, l’une des actrices, Yoshiko Takehara, revient dans le rôle d’une productrice japonaise. Néanmoins, l’élément clé à retenir à propos de Coupez ! est son incroyable fidélité à son modèle. De nombreuses scènes de Ne coupez pas ! y sont reproduites, que ce soit la trame principale du court-métrage, le bébé pleurant pendant la lecture du scénario, ou encore l’état d’ébriété d’un membre du casting. Lorsque les acteurs ont besoin de gagner du temps dans le film, Nadia évoque son expérience dans le Krav Maga et exécute des mouvements sur Raphaël. Cette scène est pratiquement identique à celle de l’original, où le personnage de Nao recourt à ses techniques de self-défense. Il est intrigant que le film ait conservé ces séquences et moments presque mot pour mot, alors même que les moments les plus mémorables de Coupez ! sont ceux où il se distingue. Le personnage de Jean-Pascal Zadi, qui incarne le compositeur Fatih, excelle en passant de l’innocence et de la joie à l’interrogation profonde face à l’étrangeté de la situation. La partition musicale bénéficie d’une vigueur surprenante, en grande partie grâce à la signature d’Alexandre Desplat.

La raison qui a conduit Coupez ! à ouvrir le Festival de Cannes cette année est cristalline. Tout comme le film qu’il adapte, ce long-métrage célèbre l’art de la réalisation cinématographique, avec ses imperfections, ses complexités et la catharsis ressentie lorsqu’un film est porté à la vision du public. Ces émotions sont manifestes dans ce film, témoignant à la fois de la splendeur du récit de Shin’ichirō Ueda et de l’aptitude d’Hazanavicius à distinguer ce qui méritait d’être préservé. Le troisième acte, où l’équipe déploie des efforts extraordinaires pour poursuivre le tournage, demeure une expérience incroyablement gratifiante (et plus amusante que l’original, il faut le dire). En fin de compte, Coupez ! est une source de divertissement pure. Pour en savourer pleinement l’essence, il est conseillé de le visionner après le film de Shin’ichirō Ueda, afin d’apprécier davantage l’aspect ludique de cette réalisation. N’hésitez pas, vous rirez à gorge déployée.

Coupez ! de Michel Hazanavicius, 1h52, avec Romain Duris, Bérénice Bejo, Grégory Gadebois – Au cinéma le 18 mai 2022.

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