[CRITIQUE] Chroniques de Téhéran – Tandis que le peuple éprouve qu’il est grand

Alors qu’il était simplement venu récupérer son permis de conduire, Farbod se voit contraint de dévoiler progressivement le tatouage couvrant son bras gauche. L’agent administratif doit en effet s’assurer que celui-ci ne contrevient pas aux règles politiques et religieuses. Le jeune homme s’exécute et laisse apparaître son bras, le poing levé vers l’extérieur, orgueilleux. Une posture caractéristique des mouvements de libération et qui relie directement ce personnage aux luttes démocratiques qui animent l’Iran. Malgré la violence de la répression étatique, les protestations (consécutives à la mort de Mahsa Amini, tuée par la police pour n’avoir pas porté le voile, obligatoire dans l’espace public) ne faiblissent pas. Ces Chroniques de Téhéran, mises en scène par Ali Asgari et Alireza Khatami, s’inscrivent dans cette agitation. 

© ARP Sélection

Les réalisateurs souhaitent capturer les dynamiques à l’oeuvre au sein de la société iranienne, en particulier les relations contrariées entre la société civile et son administration. Ainsi, le film est divisé en neuf segments. Ceux-ci, composés d’un seul plan fixe, se concentrent exclusivement sur un personnage à la fois et s’intéressent à une situation en apparence anodine : enregistrer la naissance de son enfant, récupérer son chien au commissariat, effectuer un entretien d’embauche. Or, à mesure que la séquence se déploie, la situation se complexifie, la sévérité, l’intransigeance et l’injustice du pouvoir apparaissent. Les agents administratifs sont systématiquement suspicieux et abusent de leur position dominante pour surveiller, scruter et in fine interroger la personne qu’ils ont à réprimander. Exemplairement, une jeune femme est convoquée au commissariat car sa voiture a été flashée. Invoquant avoir prêté sa voiture, elle clame son innocence. L’agent n’en a que faire et observe, par ailleurs, qu’en tant que femme, ses cheveux ne « devraient » pas être aussi courts et que son voile « devrait » être vissé convenablement sur sa tête, même dans un espace privé, même chez elle, où on risquerait de la voir. Finalement, le dévoilement de la photo prise par le radar ouvre sur une séquence kafkaïenne où l’accusée doit prouver ne pas avoir été au volant alors qu’on voit clairement qu’elle n’y était pas. 

© ARP Sélection

Un dispositif similaire, voire systématique, dirige l’ensemble des autres séquences et donne à voir les interpénétrations entre le pouvoir politique et religieux et les injonctions qui sont faites aux corps. Alors que l’administration n’est pas incarnée physiquement et qu’elle reste une voix informe, interchangeable et non caractérisée, les administrés, eux, doivent se plier aux règles qui leurs sont dictées et qui altèrent leur corporalité, leur identité, leur dignité, leur sexualité ou leur liberté d’opinion. Lorsqu’un potentiel employeur demande à un travailleur de réaliser ses ablutions devant lui, le sentiment d’enfermement, déjà inhérent au dispositif et provoqué par le cadre fixe, s’accentue ; sans jamais vraiment devenir étouffant par ailleurs, les séquences s’arrêtant trop vite du fait d’une installation cinématographique qui bégaie de scène en scène. Celle-ci empêche justement le film de pleinement se déployer et ne parvient pas à singulariser les situations, à les sortir de leur linéarité. Pour autant, tandis que le peuple éprouve qu’il est grand, le film, malgré ses maladresses, a une portée didactique voire pédagogique qui permet simplement de poursuivre le combat politique par le biais d’un médium artistique. Le cinéma, puisqu’il est l’art de montrer, permet ici de représenter concrètement, avec méticulosité et d’une manière (parfois) exhaustive, l’environnement liberticide iranien dans sa quotidienneté. La colère finit par jaillir, imprègne l’écran. Pour le reste, le combat continue. 

Chroniques de Téhéran de Ali Asgari et Alireza Khatami, 1h17, avec Bahram Ark et Arghavan Shabani – 13 mars 2024

5/10
Note de l'équipe
  • Pierre Laudat
    5/10 Mid (comme disent les jeunes)
    Empêchés par un dispositif contraignant, les réalisateurs ne parviennent jamais vraiment à insuffler de la vie dans cet univers figé. Reste la portée didactique de l'oeuvre, nous ne sommes pas venus pour rien.
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