[CRITIQUE] Chevalier Noir – L’influence de l’Occident

L’Iran est un pays qui a l’un des taux de toxicomanie les plus élevés au monde. Le fait d’être directement sur la route commerciale avec l’Afghanistan, premier producteur d’opium et d’héroïne, et d’avoir une frontière presque impossible à surveiller n’aide pas. Pourtant, dans le cinéma iranien, la toxicomanie n’est pas un sujet très fréquent, du moins si on la compare au nombre de toxicomanes. Mais malgré la censure de l’État, des films sortent où le problème est abordé de front. L’exemple notable le plus récent est La Loi de Téhéran de Saeed Roustaee, un jeu du chat et de la souris entre le chef d’une brigade anti-narcotiques (joué par Payman Maadi) et un gros trafiquant de drogue (Navid Mohammadzadeh). Le rôle secondaire mais central que joue la drogue dans le premier film d’Emad Aleebrahim Dehkordi, Chevalier Noir, est quelque peu nouveau dans le cinéma iranien. D’autres éléments font que ce film se distingue également des autres, peut-être parce que son réalisateur alterne entre l’Iran et la France. Chevalier Noir est essentiellement un drame familial dont la tonalité n’est pas toujours cohérente, mais qui présente une performance principale passionnante et donne un aperçu intéressant des jeunes générations de Téhéran, notamment en ce qui concerne les divisions sociales.

Le monde d’Iman (Iman Sayad Borhani) et de son frère Payar (Payar Allahyari) a été bouleversé après la mort de leur mère, mais une chose que cela n’a pas affecté est leur fort amour fraternel. Vivant dans un appartement qui tombe en ruine, avec un père qui lutte contre sa santé comme avec Iman, leur vie dans le Shemroon, une banlieue du nord de Téhéran, n’est pas vraiment rose. Lorsque l’un de ses meilleurs amis revient des États-Unis, riche et avec une langue imprégnée d’anglicismes, Iman y voit l’occasion de se faire un peu d’argent. La communauté des anciens expatriés jeunes et riches revenus à Téhéran, même si c’est parfois de façon temporaire, a apporté avec elle un esprit de fête intense, et Iman peut fournir des moyens de maintenir ce moral en éveil. Un premier échantillon de cocaïne entraîne une demande accrue de la part des jeunes riches, et Iman conclut un accord avec un plus gros baron de la drogue. Ce marché va toutefois mettre en péril la relation naissante entre son frère et Hana, une femme célibataire qui revient de Paris à Téhéran avec son jeune fils, et mettre en péril la relation entre Iman et son père.

© Jour2fête

Ce qui est intéressant dans Chevalier Noir, c’est que la consommation abondante de drogues (dont un personnage, un ami avec lequel Iman vit après avoir été mis à la porte de l’appartement par son père, a failli faire une overdose d’héroïne) ne conduit pas à un récit de misère. Elle est simplement décrite comme faisant partie de la vie des jeunes nouveaux riches de Téhéran, avec leurs soirées arrosées d’alcool, de coke et de musique techno, une vie dont Iman, issue d’un milieu nettement plus pauvre, veut désespérément faire partie. Il est intéressant de constater que le “côté sauvage” de Téhéran est principalement composé de personnes revenues d’Occident, comme pour dire qu’elles ont importé ce comportement à leur retour. De nombreux films iraniens mettent en scène des personnes qui font tout leur possible pour quitter le pays, mais nous avons ici un film où les expatriés reviennent vraiment. Le regard de Dehkordi sur la vie des jeunes d’une vingtaine d’années en Iran, du moins dans le milieu aisé, est probablement plus proche de la réalité que ne le pensent la plupart des Occidentaux, mais les excès, notamment en matière de drogues, combinés au fait que les expatriés en profitent, pourraient donner une mauvaise image. Les drogues font partie intégrante de l’histoire car elles sont le moteur du récit d’Iman, mais la franchise du film constitue une menace pour lui.

Un autre obstacle au film est qu’Iman n’est pas un personnage très sympathique, en tout cas pas en comparaison avec le gentil Payar. Mais Borhani insuffle à son personnage tant de panache et d’explosivité qu’en dépit de ses réticences, on ne peut s’empêcher de l’encourager. La performance de Borhani invoque le pathos pour son arnaqueur déraisonnable et nécessiteux qui essaie de se sortir de la misère. Cela tient en partie au lien entre les deux frères, la relation la plus forte du film, mais quelque peu sous-développée. L’intrigue de Payar, en revanche, est routinière, malgré la charmante performance de Masoumeh Beigi dans le rôle de Hana. Il y a des faiblesses dans le scénario qui nuisent malheureusement au film, mais ailleurs, le premier film de Dehkordi est un portrait intriguant et surprenant de la vie iranienne que l’on voit rarement au cinéma. Même si ses choix stylistiques oscillent entre le réalisme des Dardennes et le cinéma hollywoodien (le premier offrant clairement les meilleures parties du film), Dehkordi se révèle capable de créer des scènes puissantes et hypnotiques, ce qui est de bon augure pour son avenir.

Chevalier Noir de Emad Aleebrahim-Dehkordi, 1h42, avec Iman Sayad Borhani, Payar Allahyari, Behzad Dorani – Au cinéma le 22 février 2022.

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