[CRITIQUE] Bye Bye Tibériade – Quatre générations pour une histoire commune (FIFAM 2023)

Le représentant de la Palestine aux Oscars 2024 est donc le film Bye Bye Tibériade, réalisé par Lina Soualem, que l’on a pu découvrir au FIFAM. Ce documentaire est réalisé par la fille de l’actrice Hiam Abbass, une talentueuse actrice qui a quitté son village palestinien pour poursuivre son rêve artistique en Europe. Après trente années, elle aspire maintenant à retracer son passé en quête des autres femmes de sa famille. Cette chronique familiale se transforme en un témoignage d’une histoire commune, celle des exilés et des oubliés. Le dispositif utilisé par Lina Soualem est représentatif de son propos, alternant des images d’archives familiales et historiques pour offrir une perspective historique sur le conflit israélo-palestinien, en le liant à l’histoire personnelle de sa famille. Ainsi, la mise en scène qui alterne images collectives et intimes lie ces deux éléments de manière naturelle, et les vidéos filmées par la cinéaste s’inscrivent dans la continuité de ce travail, comme des traces de vies et des preuves d’existence.

En discutant avec la co-scénariste Nadine Naous et l’interprète Hiam Abbas, on se rend vite compte que l’équipe a réussi à éviter les principaux écueils du projet. Le principal défi qui aurait pu surgir est le fait que Hiam est une actrice professionnelle, ce qui pourrait soulever des doutes quant à sa sincérité lors des séquences les plus importantes. Sur le tournage, elles ont délibérément choisi de ne pas masquer cette dimension artistique et de l’intégrer au reste du processus. Ainsi, on voit l’interprète citer des poèmes, réciter des textes familiaux, voire même jouer sur scène l’un des moments les plus cruciaux de sa vie. Elle se livre sincèrement à la caméra de sa fille. Le deuxième défi réside évidemment dans la relation entre la réalisatrice, à la fois metteuse en scène et fille de son sujet. Il aurait pu être difficile d’alterner entre ces deux rôles sur le plateau. Pourtant, Lina Soualem s’en sort admirablement en maintenant toujours une certaine distance, en particulier lors des séquences émotionnelles où sa mère aurait besoin de sa fille plutôt que d’une réalisatrice. Parfois, elle sait également mettre en avant les points cruciaux de l’histoire, même lorsque sa mère semble hésiter à aborder des sujets délicats. Lina Soualem guide ce parcours mémoriel en équilibrant ses deux rôles, ce qui rend sa performance d’autant plus impressionnante.

Le troisième défi potentiel dans ce genre de documentaire intime serait qu’il se transforme en une représentation centrée sur le “Je”. Cependant, Bye Bye Tibériade réussit parfaitement à éviter cette écueil, chaque instance du “Je” étant orientée vers une histoire collective, un “Nous”. C’est pourquoi la réalisatrice n’apparaît jamais seule dans le cadre, toujours accompagnée d’autres femmes de sa famille. Cela traduit une volonté de créer des images d’archives futures qui intègrent davantage les femmes que par le passé. L’historiographie démontre en effet que la non-conservation des archives peut biaiser l’opinion internationale sur les habitants de la région, si l’on ne dispose que d’une fraction minime de ces archives. La cinéaste s’efforce alors de reconstruire les parties manquantes en filmant le quotidien invisible, les moments de rire, les femmes habituées à tout quitter à tout moment. Ce documentaire revêt une grande importance car en mettant en lumière les invisibles, il leur donne une voix et, par conséquent, de l’importance.

C’est quoi le cinéma de Lina Soualem ? En deux longs-métrages documentaires, elle parvient à maîtriser des sujets complexes tout en restant focalisée sur l’essentiel de son récit. Elle évite habilement les pièges évidents, mais pourtant ardues, du genre, tout en guidant ses interprètes jusqu’au bout de leur périple. Les émotions captivent le spectateur sans jamais compromettre les objectifs de son œuvre : donner de la visibilité à ceux que l’on ne peut voir. L’actualité récente nous rappelle, plus que jamais, l’ampleur des enjeux de cette œuvre. Pour certains, les images revêtent une importance vitale, et leur impact est significatif dans une région où les images du quotidien font cruellement défaut. Bye Bye Tibériade figure parmi nos favoris dans la compétition du FIFAM, la réponse sera donnée en fin de semaine.

Bye Bye Tibériade de Lina Soualem, 1h22, documentaire, avec Hiam Abbass – Au cinéma le 24 avril 2024

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