[CRITIQUE] Augure – l’essor du cinéma africain

Dans Augure de Baloji, se dessine une étude complexe de l’identité, de la tradition et de la modernité, à travers le parcours de personnages happés par la confrontation entre superstitions anciennes et réalités contemporaines. Cette œuvre belge-congolaise, ancrée dans un réalisme teinté de mysticisme, suit le retour de Koffi (Marc Zinga, à contremploi), étiqueté sorcier, au Congo avec sa fiancée Alice (incarnée par la formidable Lucie Debay), enceinte, dans l’espoir de renouer avec sa famille. À travers leurs péripéties mêlées aux histoires de Tshala, Paco et Mujila, elle explore les tensions entre tradition et modernité, offrant une réflexion subtile sur l’impact des croyances culturelles sur les relations humaines.

Augure sonde avec profondeur la diaspora africaine et les retombées de la stigmatisation. L’exemple saisissant de Koffi, affublé du titre de “sorcier” en raison de sa marque de naissance, reflète les véritables épreuves des individus confrontés à des jugements préconçus et à des étiquetages préjudiciables. À travers ce personnage, Baloji dépeint la complexité de l’identité diasporique, où se heurtent deux cultures, générant des perceptions altérées et une marginalisation sociale. Le déracinement émotionnel de Koffi lors de son retour au Congo avec Alice dévoile la profondeur de cette stigmatisation. Malgré son retour au pays natal, il demeure un étranger parmi les siens, confronté à une méfiance palpable et à l’exclusion. Cette dynamique complexe entre intégration et exclusion offre un éclairage saisissant sur les luttes internes des individus confrontés à la stigmatisation et à la ségrégation sociale.

© WRONG MEN NORTH-NEW AMSTERDAM-TOSALA FILMS-SPECIAL TOUCH STUDIOS-RTBF

Le long-métrage explore avec subtilité le conflit entre tradition et modernité à travers divers personnages. Tandis que Tshala maintient un attachement à certaines traditions malgré ses réserves, Paco transforme sa stigmatisation en pouvoir économique en devenant magicien. Cette dualité est également illustrée par les réactions de Koffi face aux rituels et superstitions de sa famille, symbolisant le conflit entre son éducation occidentale et les coutumes ancestrales, révélant ainsi les tensions entre deux mondes culturels. La dimension esthétique foisonne de symbolisme visuel. Costumes chatoyants, décors flamboyants et scènes empreintes de mysticisme se mêlent pour créer une ambiance envoûtante. La scène rituelle consécutive au saignement de nez de Koffi offre une représentation visuelle saisissante, transformant un événement banal en une séquence rituelle intense et mystérieuse. Toutefois, cette esthétique captivante peut parfois éclipser la narration, créant une tension entre attrait visuel et développement narratif, mettant en lumière la dualité entre l’esthétique visuelle éblouissante et la nécessité d’approfondir la narration.

Les relations familiales, notamment celles de Koffi avec sa famille, mettent en relief la marginalisation et l’aliénation au sein même du cercle familial. La scène où Koffi tente de se rapprocher de son neveu est particulièrement poignante. Son isolement émotionnel est palpable alors qu’il cherche désespérément à se connecter, se retrouvant une fois de plus confronté à la méfiance et à la distance. Cette marginalisation émotionnelle souligne les conséquences dévastatrices des superstitions et préjugés au sein des relations familiales, illustrant la manière dont ces croyances peuvent briser les liens affectifs et isoler ceux qui en sont victimes. Les personnages de Koffi, Paco et Tshala incarnent des tentatives de transcender les étiquettes sociales de “sorcier”. Koffi incarne l’espoir de dépasser jugements et préjugés pour être accepté malgré cette étiquette, une quête empreinte d’une profonde humanité et de résilience face à l’adversité. Paco, lui, offre une vision alternative, transformant sa stigmatisation en source de pouvoir. Cette divergence de réactions face à la stigmatisation offre une réflexion sur les stratégies d’adaptation à la marginalisation.

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Malgré la richesse des histoires individuelles, Augure souffre parfois d’une structure narrative déséquilibrée. En se concentrant principalement sur le récit de Koffi, il accorde moins d’attention au développement d’autres personnages comme Tshala et Mujila. Cette lacune limite la portée des récits individuels et pourrait amoindrir l’impact émotionnel de leurs expériences, fragmentant la trame narrative et donnant l’impression de personnages moins approfondis que d’autres. Par contre, Baloji entremêle habilement plusieurs genres cinématographiques, créant une tension narrative persistante. En associant horreur surnaturelle, thriller psychologique et comédie noire, il façonne quelque chose d’immersif. Cette diversité de genre renforce les conflits entre tradition et modernité, offrant une perspective complexe des tensions culturelles et sociales. Les éléments d’horreur surnaturelle et de thriller psychologique intensifient la tension narrative, mettant en lumière les conflits intérieurs des personnages et ajoutant une dimension d’ambiguïté à l’histoire.

Le film célèbre avec éclat la richesse et la vitalité des traditions africaines, offrant une représentation vibrante de cet héritage culturel. À travers rituels, costumes et traditions, Baloji illustre la perpétuité et la pertinence continue de ces coutumes dans un contexte contemporain. Cette représentation authentique offre un regard respectueux sur la culture africaine, soulignant son importance dans la vie quotidienne des personnes concernées. Augure se révèle comme une méditation puissante sur l’identité, la tradition et la réconciliation, malgré ses lacunes structurelles. À travers une esthétique visuelle envoûtante et une exploration approfondie des dualités culturelles, il témoigne de l’essor du cinéma africain dans le paysage contemporain, offrant une perspective nuancée sur les défis des sociétés africaines dans un monde en perpétuelle évolution. Comme l’était Neptune Frost, en somme.

Augure de Baloji, 1h30, avec Marc Zinga, Lucie Debay, Eliane Umuhire – Au cinéma le 29 novembre 2023.

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