Le plan séquence est l’une des manœuvres visuelles les plus controversées du cinéma. La question logique est donc de savoir ce qui permet une exécution réussie de cette manœuvre. Est-ce l’emplacement du plan, les images capturées dans le cadre choisi ? Est-ce la complexité de la technique, qui témoigne de l’importance des enjeux de la mise en scène ? Est-ce une mise en œuvre efficace de la narration, qui se marie bien avec la forme ?
Depuis des décennies, les cinéastes du monde entier produisent des œuvres qui cherchent à tester les limites de la perception objective de la caméra, en élaborant et en travaillant le timing et le mouvement de la caméra pour créer une illusion de réalité en temps réel. Ce mode de fonctionnement prend évidemment des formes et des contextes différents, qu’il s’agisse d’une odyssée policière allemande se déroulant au cours d’une nuit fatidique (Victoria) ou d’une ode à l’héritage et à l’histoire des artefacts du musée russe de l’Ermitage (L’Arche russe). En d’autres termes, le plan séquence, aussi mal utilisé soit-il, ne sera jamais désuet tant que les cinéastes continueront à réimaginer son potentiel pour leurs propres formes d’expression. Il est donc logique que le deuxième long métrage d’Elisabeth Vogler, Années 20, un film sur l’interconnectivité parisienne post-blocage, utilise une telle technique dans son récit. Le film commence au Louvre, alors que la caméra traque et documente une poignée de personnages originaux dans la vie trépidante de la ville parisienne. Alors que le film traverse des sites tels que la Seine, le métro local et même une partie du quartier République, Vogler prend soin de se concentrer sur les dilemmes internes de chacun de ses personnages après le confinement : un homme décrit la création d’un porno amateur pendant le confinement, tandis qu’un couple de petits voleurs à l’étalage discute de leur prochain coup. Les conversations sont certes légères et parfois suffisantes, mais l’atmosphère qui se dégage du milieu environnant est ce qui fait le charme de ce pastiche.
Une nouvelle forme de plaisir
S’attachant principalement à créer le chaos à partir de la normalité et de la reconnexion, il n’est pas surprenant qu’une grande partie de ce qui fait de Années 20 un dispositif de plan séquence aussi efficace, par nécessité, soit le raffinement de ses détails techniques et la manière dont il reste en conversation avec les thèmes plus larges de Vogler. Mais ce qui est peut-être plus surprenant pour un tel film, c’est la force et le soin apporté à sa conception sonore, une expérience immersive et nuancée qui donne même souvent la sensation d’un enregistrement binaural. Vogler accorde une attention particulière à ses sources sonores diégétiques et non diégétiques, y compris, mais sans s’y limiter, à l’évolution de la psychose et à l’anxiété croissante de ses propres personnages. Au fond, Années 20 est une pure évasion romantique, un hommage chorégraphié et monté de façon impeccable au pandémonium parisien d’un moment précis (d’autant plus miraculeux qu’il a été tourné en été 2020). Alors que chacun des personnages est mis à l’épreuve et se débat dans des scénarios brefs et dénués de sens en apparence, le film ne perd jamais son sens du renouveau et du soulagement de la vie post-confinement.
Poésie urbaine
Bientôt, nous atteindrons tous notre nouvelle normalité, à l’image des chemins qu’empruntent les différents personnages de Vogler. Après tout, le début n’est que la fin, et la fin n’est jamais que le début. Vogler comprend que le temps est un cercle plat, et les spectateurs qui se laissent porter par la longueur d’onde du film verront que nos propres années folles ne font que commencer.
⭐⭐⭐
Note : 3 sur 5.Années 20 au cinéma le 27 avril 2022