[CRITIQUE] Animal – Yes Sir, I Can Boogie

En cette entame de l’année 2024, il est manifeste que certains d’entre nous, avides d’un repos estival, contemplent déjà avec impatience les grandes vacances. Il s’agit de ces périples exotiques où l’on s’adonne à la délectation au bord de la piscine, où l’on savoure les douceurs de la plage, accompagnés d’un excès d’alcool et de festivités effrénées, sans pour autant consacrer ne serait-ce qu’une parcelle de son temps à l’exploration du territoire d’accueil. Toutefois, tandis que vous vous prélassez, insouciants, en profitant de formules tout compris, il convient de rappeler que certains individus s’échinent durement pour maintenir cette ambiance propice à la paresse et à l’insouciance – tout comme ces animateurs citadins sous-rémunérés qui assument la garde de vos progénitures pendant de longues quinzaines annuelles.

Copyright Shellac Distribution

L’industrie touristique florissante du sud de l’Europe attire chaque année une multitude de jeunes en quête d’emploi saisonnier, bon nombre d’entre eux obtenant un poste au sein d’une équipe d’animation dans un complexe hôtelier ou balnéaire. Malgré les danses parfois ridicules et les activités qui peuvent paraître monotones, ces jeunes escomptent y trouver du plaisir et de l’aventure. Toutefois, quelle est la valeur de ces plaisirs répétitifs, jour après jour, lorsque l’on est tenu de faire preuve d’une énergie inépuisable et de sourires inaltérables ? L’alcool, la débauche et le soleil, bien qu’agréables en doses modérées, peuvent devenir une combinaison pernicieuse lorsqu’ils sont poussés à l’excès.

À l’aube de la saison touristique, une équipe hétéroclite d’animateurs se réunit dans un luxueux complexe balnéaire situé sur l’une des îles grecques. Parmi ces individus se trouve Eva, une jeune Polonaise de tout juste dix-huit ans. Cette équipe est placée sous la houlette de Kalia, une vétéran deux fois l’âge d’Eva, qui semble prendre la jeune fille sous son aile, peut-être parce qu’elle discerne en elle des traits familiers. Le complexe s’anime à la tombée de la nuit, offrant aux vacanciers bedonnants et échauffés par le soleil l’occasion de danser en étroite compagnie de jeunes femmes séduisantes, sous le regard amusé de leurs conjointes. Après minuit, certains animateurs enchaînent avec des emplois dans des discothèques locales, visant une clientèle plus jeune, effectuant en substance la même tâche, mais avec une dose supplémentaire d’alcool et une tenue plus légère. Ces nuits arrosées débouchent parfois sur des aventures éphémères sur la plage. Cette existence peut sembler divertissante dans la jeunesse, mais quand on atteint l’âge de Kalia et que l’on demeure dans cette routine, l’amertume s’installe. Il n’est donc guère surprenant de la voir épuiser les bouteilles de schnaps dès que possible. En compagnie d’Eva, Kalia réfléchit à sa propre vie et réalise qu’elle se trouve dans une impasse.

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Le deuxième long-métrage de la réalisatrice grecque Sofia Exarchou, Animal, aspire à révéler un aspect plus sombre de l’industrie touristique, à savoir la monotonie quotidienne qui consiste à satisfaire les désirs d’autrui, au détriment de son propre bonheur. Ce portrait poignant est brossé à travers le personnage de Kalia, arrivée sur l’île et n’ayant jamais trouvé l’impulsion de la quitter. À l’âge de trente-cinq ans, elle s’interroge sur le gaspillage de sa vie. Toutefois, il n’est nullement de place pour le chagrin ni le temps à consacrer à l’introspection, le spectacle doit perdurer. Sous l’angle de la représentation d’une femme dont l’existence a filé entre ses doigts sans qu’elle y prenne garde, ce long-métrage s’avère excellent, en grande partie grâce à la performance à la fois puissante et vulnérable de Vlagopoulou. Lorsque la prise de conscience s’installe chez Kalia et que sa solitude devient palpable au moment où elle entonne une version karaoké du morceau Yes Sir, I Can Boogie de Baccara dans un bar inconnu, concluant par un “J’en ai fini. C’est terminé“, on peut discerner ce sentiment gravé dans ses yeux. C’est déjà l’une des séquences les plus marquantes de l’année, qui aurait été encore plus percutante si la réalisatrice avait choisi de conclure à cet instant. Car, il est incontestable que le troisième acte de ce portrait s’étire en longueur, notamment avec une série de cinq scènes qui auraient constitué une conclusion idéale pour le récit. Pourquoi dès lors nous infliger cinq dernières minutes aussi banales qu’inutiles ?

En tant que commentaire plus général sur l’industrie touristique et notre rôle en tant que voyageurs, Animal ne parvient pas à convaincre de manière équivalente. Le personnage d’Eva et sa relation avec Kalia paraissent prometteurs, mais demeurent finalement en retrait, n’apportant qu’un éclairage superficiel sur le cycle qui régit cet environnement, comme en témoigne la scène finale du film, qui ne parvient pas à émouvoir. La deuxième partie du long-métrage, marquée par son aspect statique et répétitif, nuit à l’ensemble, même si cette approche peut être perçue comme une tentative délibérée pour renforcer le propos. Magnifiquement filmé dans une ambiance sensuelle rappelant le récent How To Have Sex, Animal excelle lorsqu’il se focalise sur la détresse intérieure de son personnage central. En fin de compte, il s’agit d’un effort robuste qui pourrait toutefois pâtir d’une ambition excessive, mais qui bénéficie du soutien d’une prestation centrale empreinte d’une profonde tristesse.

Animal de Sofia Exarchou, 1h56, avec Dimitra Vlagkopoulou, Flomaria Papadaki, Ahilleas Hariskos – Au cinéma le 17 janvier 2024

7/10
Note de l'équipe
  • Louan Nivesse
    7/10 Bien
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