[CRITIQUE] Albatros – Coupez les ailes d’un gendarme

Albatros, le huitième film du cinéaste français Xavier Beauvois, contient des changements de direction et de ton si abrupts que le degré d’appréciation du film dépendra en grande partie de la capacité à encaisser les coups. La plupart du temps, il s’agit d’un film de routine policière qui suit un flic dans l’exercice de ses fonctions, et lorsqu’il s’en tient à cela, il est indéniablement convaincant et discret. Vers la fin, il change de vitesse pour devenir un film presque complètement différent et, en premier lieu, moins intéressant, quand bien même cette partie soit attractive de par la performance centrale impressionnante de Jérémie Renier dans le rôle de Laurent, un policier dans une petite ville du bord de mer.

Pendant pratiquement toute la première heure, nous observons Laurent dans l’exercice de ses fonctions. Bien qu’il y ait quelques moments d’excitation ici et là, un couple de jeunes mariés posant pour des photos sur la plage voit son tableau apparemment parfait brusquement brisé par un homme se suicidant, la plupart de ce que nous voyons est du travail de police ordinaire dans une petite ville. Cela va du conseil à un autre policier sur la façon d’aborder l’affaire d’un local soupçonné d’avoir abusé sexuellement de son enfant au ramassage d’un ivrogne local (Xavier Beauvois, lui-même). Chez lui, il vit heureux avec Marie (Marie-Julie Maille), sa petite amie de longue date, et leur fille Paulette (Madeline Beauvois). Au début de l’histoire, on le voit même demander (enfin!) Marie en mariage. Le film suit ce format pendant la première heure, jusqu’à ce que l’histoire commence discrètement mais efficacement à changer d’orientation. Julien (Geoffrey Sery), un fermier local, est de plus en plus agacé par les restrictions imposées par l’Union européenne à sa ferme et à son bétail. Un jour, il finit par craquer et s’enfuit avec un fusil de chasse. Laurent est convaincu qu’il représente plus un danger pour lui-même que pour les autres, mais il est déterminé à le retrouver avant qu’il ne se passe quelque chose de grave. Une nuit, il parvient enfin à trouver Julien. Alors qu’il fait tout ce qu’il peut pour désamorcer la situation, les choses deviennent incontrôlables et la tragédie s’ensuit.

Sensibilisation à la santé de nos agriculteurs.

Jusqu’à présent, le film de Beauvois a été une œuvre paisiblement intrigante qui suggère parfois une procédure policière standard placée entre les mains des Dardenne, une sensation qui est soulignée par la présence de Renier, un habitué des Dardenne, dans le rôle principal. Les vingt minutes suivantes sont encore meilleures, alors que Laurent est obligé de faire face aux retombées de ses actions bien intentionnées et est menacé de perdre tout ce qui lui est cher, tout en étant tourmenté par la culpabilité qu’il ressent malgré le fait qu’il ait tout fait correctement (en théorie). Ce qui est particulièrement intéressant ici, c’est la façon dont Beauvois évite de dilater le drame afin de susciter davantage de sympathie pour Laurent, comme Laurent lors de cette nuit fatidique, les personnes qu’il affronte font simplement leur travail du mieux qu’elles peuvent, même si leurs efforts ont le pouvoir de détruire des vies également. C’est dans la dernière partie qu’Albatros peut rencontrer des difficultés. Sans trop entrer dans les détails, Laurent prend une décision surprenante face à ses multiples problèmes et à son bouleversement psychique, et nous observons les conséquences de ce choix à travers ses yeux et ceux de Marie. Comme le reste du film, cette partie est bien construite et magnifiquement interprétée par Renier. La différence essentielle, cependant, c’est qu’elle va certainement diviser. Après le réalisme méticuleux de ce qui l’a précédé, le dernier acte ressemble davantage à une construction imaginée par des scénaristes qui souhaite drastiquement mener à terme un récit par ailleurs passionnant.

Jean-Pierre Vidol et Marcel Patulacci.

Cette dernière partie, selon vos approches et vos sensibilités, rabaissera ou magnifiera Albatros. Il s’agit d’un drame intelligent, observateur et profondément ressenti qui prend un schéma de narration familier et le présente d’une manière plus humaine que d’habitude. Si seulement Beauvois avait réussi à trouver un acte final plus accessible, Albatros aurait pu devenir le drame vraiment puissant et mémorable suggéré par les deux premiers actes. Laurent a envie de s’évader de son traumatisme. Dans le dernier acte du film, le sentiment de rigueur et d’authenticité de la terre, s’éloigne. C’est un final étrange, sans lien avec le reste du film, comme si le réalisateur ne voulait pas ou ne pouvait pas répondre aux questions posées par la première moitié du film. Xavier Beauvois a réalisé un film qui contemple un traumatisme dont il est lui-même responsable, une œuvre lucidement belle qui s’attaque à la culpabilité et au chagrin.

Note : 4 sur 5.

Albatros au cinéma le 3 novembre 2021.

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