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[CRITIQUE] À son image – La Photographie comme Mémoire et Rébellion

Thierry De Peretti, réalisateur connu pour Les Apaches et Une Vie Violente, entre autres, a toujours suivi un style de mise en scène singulier. Il privilégie la diffusion de la parole par des mouvements lents de sa caméra et porte un regard particulier sur la Corse, sa région natale. Son avant-dernier film, Enquête sur un scandale d’État, sorti en 2022, se distingue en ancrant son récit à Paris, contrairement à ses trois autres longs-métrages. Il offre également une plongée dans les arcanes de l’administration française, nous immergeant dans ses méandres. À son image marque un retour en Corse pour nous raconter l’histoire poignante d’Antonia, incarnée par Clara-Maria Laredo, une jeune photographe à la personnalité forte. Dès les premières minutes du film, nous sommes frappés par la brutalité de son destin : Antonia meurt tragiquement dans un accident de voiture. À partir de ce moment, le récit entreprend de remonter le fil de sa vie, dévoilant ses luttes pour s’affirmer professionnellement et ses choix de vie, notamment sa relation avec son compagnon, un fervent nationaliste.

Copyright Pyramide Distribution

En surface, le long-métrage traite des thématiques liées à l’image et aux tensions nationalistes en Corse, mais il s’articule surtout autour d’un long flashback sur Antonia et d’autres personnages. Cette structure narrative nous permet de ne jamais perdre de vue le fil conducteur de l’histoire, qui semble simple en apparence. La mise en scène se fait discrète, laissant place aux mouvements de pensée des différents personnages lors de conversations, débats ou dialogues. Antonia trouve une clé de lecture à travers Pascal, un jeune chauvin dont elle cherche à capter les tensions et à décrypter le combat. Le patriotisme corse, en tant qu’affrontement idéologique, est intéressant et complexe. Il incarne à la fois l’idée d’indépendance et, dans les années 80 et 90, une certaine forme de terrorisme. Ces luttes armées et frictions idéologiques doivent être documentées et photographiées par la presse locale, et pas seulement nationale. Antonia tente de convaincre son rédacteur en chef de couvrir ces événements, malgré son refus, estimant que d’autres journalistes extérieurs à la Corse s’en chargent déjà. Cette séquence résume le tiraillement entre, d’un côté, l’engagement passionné pour une idée du journalisme, et de l’autre, la prudence de ceux qui préfèrent ne rien faire, et donc ne pas prendre parti.

Tout au long du film, le cinéaste utilise la voix-off comme un véritable outil de mise en scène, apportant des informations absentes de l’image tout en adoptant le point de vue de Simon, l’amant d’Antonia. Cette narration renforce cependant l’ambivalence du récit. La vérité, bien que partiellement dévoilée par la voix-off, reste sujette à caution (comme dans Enquête sur un scandale d’État) et nous échappe jusqu’à la fin. La parole, scrutée avec attention, est mise en scène dans un format d’image resserré (1.66:1), qui refuse de figer les échanges entre les personnages. Le groupe d’amis d’Antonia est filmé comme une communauté d’individus dont les décisions sont constamment remises en question, et la quête d’un idéal est dépeinte comme une utopie totale.

Copyright Pyramide Distribution

Le récit, empreint de déception, poursuit ainsi l’œuvre de De Peretti tout en ajoutant une réflexion profonde sur la photographie et l’engagement d’Antonia envers cet art. Elle incarne toute la complexité des affrontements et le désir d’indépendance, tant en tant que femme que photographe, dans une structure profondément patriarcale. Elle ne refuse pas, par ailleurs, l’idée de partir en reportage en ex-Yougoslavie, à Vukovar, pour montrer l’immoralité et l’indécence de la guerre en cherchant le bon angle de prise de vue. Ce passage aurait pu être une simple démonstration brute de la violence, mais le réalisateur choisit de ne jamais révéler l’obscénité de ces images, nous laissant le soin de deviner et de réfléchir. En reliant ensuite ces scènes aux meurtres et crimes des nationalistes corses, il souligne combien la mort est inéluctable dans la vie d’Antonia, elle qui cherchait à en capturer toute la complexité.

Thierry De Peretti dépeint ainsi quelque chose de simple mais de très beau : Antonia était une femme indépendante, passionnée par son compagnon et son travail, dans un contexte de lutte armée et de batailles idéologiques propres à la Corse. Le tout est illuminé par un soleil éclatant, malgré la présence constante de la mort. C’est toute la grâce d’une certaine mélancolie qui est décrite ici. À la fin du film, des images d’archives viennent ancrer les souvenirs du personnage et en tirer toute la beauté, autant que le sentiment de tristesse qui en émane.

À son image de Thierry de Peretti, 1h53, avec Clara-Maria Laredo, Marc’Antonu Mozziconacci, Louis Starace – Au cinéma le 4 septembre 2024

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