C’est quelques mois après La Maison d’Anissa Bonnefont avec Ana Girardot que débarque sur nos grands écrans le nouveau projet de l’actrice / réalisatrice Lucie Borleteau qui avait beaucoup séduit en 2019 avec son Chanson Douce. Pour son troisième long-métrage, elle change drastiquement de style – mais pas de sujet. Ici, elle se focalise sur la vie d’un club de strip-tease, les femmes qui y logent ainsi que les hommes qui les entourent. Un fait étonnant dans la filmographie de son autrice, c’est qu’elle traite toujours avec puissance, émotion et féminisme la position de la femme au sein de la société. Elle a commencé avec Fidelio, l’odyssée d’Alice, elle y filmait un groupe d’hommes avec une femme au milieu ; dans À mon seul désir, elle prend le contrepied de ses débuts en y filmant un groupe de femmes avec des hommes au milieu. Si cette différence peut paraître énorme, elle ne change rien au fond qu’elle développe depuis ses grands débuts en 2014.
De prime abord, son long-métrage est surprenant de bout en bout dans sa manière de traiter le strip-tease et par la suite la prostitution. La vision de Borleteau paraît unique, remplie de gaieté et de bienveillance. Son À mon seul désir a ce coté feel-good qui ne semble jamais glauque au sein de son ensemble – la discipline a souvent été montré négativement au cinéma. Son point de vue n’est pas naïf pour autant, elle ne cesse de montrer certaines difficultés comme une agression dans un salon privé ou des comportements très déplacés lors d’un enterrement de vie de garçon (une scène où l’on peut retrouver l’excellent Raphaël Quenard qui livre encore ici une prestation remarquable pour le peu de temps d’écran qu’on lui accorde); ces diverses séquences sont par habitude le point d’orgue d’une dramaturgie mélodramatique misérable que la réalisatrice et sa coscénariste Clara Bourreau évitent à chaque fois. Bien que l’on sente certains fils rouge, le long-métrage ne cesse de créer quelques surprises dans la tournure de son rythme et dans ses émotions.
À mon seul désir commence avec une ambiance sensuelle electro-pulp pour se diriger aisément vers un film d’entreprise women’s power pop et sous tension pour se conclure vers un triangle amoureux passionnant dans ses sous-textes. Le premier acte sera certainement le plus marquant à l’avenir, dans son traitement du club de strip-tease et notre découverte de celui-ci à travers les yeux d’une Louise Chevillotte candide et véritablement parfaite dans le rôle de la femme perdue qui va s’affirmer. Le deuxième acte développe toutes les relations humaines qui enveloppent son personnage, entre son rapprochement avec l’un de ses clients (et admirateur) et son affection grandissante avec son mentor et alliée Zita Hanrot, qui offre son corps et sa puissance au récit (certainement le plus doux personnage du récit), toutes les lignes se tracent pour offrir un troisième acte solide bien qu’un peu étiré.
En effet, les dernières minutes d’À mon seul désir paraissent trop étendues, comme si son auteure ne savait pas comment conclure correctement son récit. Après trois ou quatre faux plans finaux, la conclusion semble confuse et plutôt décevante. Durant son récit, Lucie Borleteau enfonce beaucoup de portes ouvertes et ce n’est pas grave, car celle-ci cogite suffisamment le spectateur pour qu’il puisse y trouver lui-même ses réponses. Dans son final, la porte principale est entre ouverte, pas assez en suspense pour qu’on y réfléchisse et pas assez scellée pour qu’on en ressorte comblé. C’est dommage car cinq minutes plus tôt, la conclusion semblait parfaite.
Ce n’est qu’un point de détail, À mon seul désir est un plaisir de spectateur dans sa manière de détourner nos attentes, sans jamais être glauque et toujours chaleureux. Entouré par deux merveilleuses comédiennes et de fabuleux rôles secondaires, Lucie Borleteau a confiance en sa mise en scène et sa narration pour fournir une œuvre élégante presque toujours feel-good, en grande partie maitrisée. Un tour de force édifiant.
À mon seul désir de Lucie Borleteau, 1h57, avec Zita Hanrot, Louise Chevillotte, Laure Giappiconi – Au cinéma le 5 avril 2023.