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[CQL’EN BREF] Border Line (Alejandro Rojas & Juan Sebastián Vasquez)

En ces temps troublés, où l’actualité est empreinte de xénophobie, de racisme, et d’une montée inquiétante de l’extrême droite, il est crucial de faire face à cette peur systémique, exacerbée par de nombreux gouvernements à travers le monde. Si l’Amérique de Trump n’est pas pionnière en la matière, elle en offre néanmoins un exemple éloquent, dont les séquelles demeurent palpables. C’est précisément le sujet de Border Line réalisé par Alejandro Rojas et Ruan Sebastian Vasquez. Diego (interprété par Alberto Ammann) et Elena (incarnée avec brio par Bruna Cusí) quittent Barcelone pour s’installer aux États-Unis. Leur arrivée à la douane prend une tournure dramatique. Les contrôles se multiplient, la confusion et l’angoisse s’installent : qu’ont-ils bien pu faire ? Les spectateurs, emportés dans ce périple, ne connaissent guère mieux le couple, mais leur désarroi et leur incompréhension créent une empathie immédiate. Cette capacité des réalisateurs à jouer avec nos émotions rend le film profondément poignant.

L’atmosphère de suspicion instaurée par la douane et les enquêteurs est omniprésente. Nous sommes enfermés avec ces personnages, soumis à des interrogatoires destinés à débusquer les contradictions et piéger les suspects. Malgré leur coopération, Diego et Elena réalisent vite que leur seule échappatoire est de jouer le jeu. Une agente, pourtant, laisse échapper : « Je sais très bien ce que vous faites, et sachez que je ne vous juge pas ». Tout n’est que manipulation, visant à faire avouer des méfaits inexistants, et à trouver des coupables parmi les innocents, dans une politique d’accueil des immigrés douteuse et inhumaine. Tout prend une tournure plus sombre à mesure que les interrogations deviennent cruelles. Diego et Elena sont séparés, interrogés tour à tour, dans le but de les diviser et de semer le doute sur leur amour et leur confiance mutuelle. Ces questions insidieuses les éloignent inexorablement, transformant leur rêve américain en un véritable cauchemar. Encore faudrait-il que ce rêve américain soit toujours d’actualité.

Cette suspicion et ce racisme ne sont pas l’apanage de l’Amérique. Les débats sur l’accueil des réfugiés ukrainiens, palestiniens, et d’autres peuples en proie à la guerre et à la souffrance, montrent que ces mêmes préjugés raciaux persistent, profondément ancrés dans nos sociétés. Au milieu de ce discours apparemment banal, les cinéastes parviennent à intégrer une surprenante dose de nuance, notamment en présentant l’un des interrogateurs comme issu d’une famille immigrée. Cet interrogateur, exploitant une compassion ethnique pour soutirer des informations, se voit néanmoins contraint par sa hiérarchie d’être implacable et suspicieux. Le passé traumatique de Diego, ayant fui une situation difficile au Venezuela, est également révélé. Ces éléments émergent au cours de l’entretien, nous donnant, à nous et à sa partenaire, matière à réflexion. Pourtant, nous restons principalement de leur côté. Border Line est un long-métrage captivant d’une heure et dix minutes, d’une pertinence rare aujourd’hui. Il nous questionne sur notre fermeture à l’accueil et à la bienveillance. Le cadre du huis clos, souvent en plan fixe, confère une neutralité laissant libre cours à l’indignation et la colère suscitée par ce que nous voyons, mais aussi à la tristesse face à la situation mondiale. Comme le rêve américain, l’humanité semble être un idéal insaisissable, un mirage dans ces conditions inhospitalières.

Border Line de Alejandro Rojas et Juan Sebastián Vasquez, 1h17, avec Alberto Ammann, Bruna Cusí, Ben Temple – Au cinéma le 1er mai

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