[RETOUR SUR..] The Rocky Horror Pictures Show – La question des Midnight Movies (en 1975)

Chaque année au cinéma, de nombreux films géniaux et fantastiques sortent et surprennent les spectateurs. La rédaction de « C’est quoi le cinéma » décrypte chaque semaine, pour vous, les sorties cinéma et VOD, mais nous avons décidé pour cette série d’articles spéciaux de retourner en 1975 et de vous faire un focus des films sortis cette année-là et qui méritent votre regard. Ces films ont été sélectionnés pour leurs qualités ou leur importance culturelle, au sein de l’année 1975 et même ensuite. Car l’intérêt de cette série d’articles est également de se demander : que reste-t-il de l’année 1975 ?

Pour commencer, nous avons choisi la comédie musicale de Jim Sharmann : The Rocky Horror Pictures Show. Un film qui nous semblait intéressant de vous conseiller, notamment car son influence est aujourd’hui visible dans un très grand nombre d’œuvres. Et surtout car cet excellent film est le plus grand des Midnight Movies, et que l’on avait terriblement envie de vous parler de ce mouvement culturel. Plongeons ensemble au cœur de la folie, de l’absurdité et de la subversivité. Plongeons au cœur des années 70 et découvrons ensemble c’est quoi le cinéma… en 1975 ?

L’orage gronde. Janet et Brad, un archétype du couple au cinéma, tombent en panne au milieu de nulle part. Perdus, ils n’ont d’autres choix que d’entrer dans cette grande et immense bâtisse qui se dresse devant eux : un château aux allures effrayantes qui remplit le cadre de son aura mystérieuse. À l’intérieur ils trouveront des personnages étranges, des expériences délirantes et une folie sans fin : tout ce qui fait l’âme des Midnight Movies.

The Rocky Horror Picture Show est donc un film réalisé par Jim Sharman, basé sur la comédie musicale du même nom, de Richard O’Brien. Tout comme son matériau d’origine, le film est une grande fresque rock rendant hommage aux films de genre : l’horreur, la science-fiction et les séries B. Complétement déjanté, le film prend la forme d’une comédie musicale classique des années 1970 pour distiller dans son fond une floppée de références. Des hommages nombreux à une contre-culture naissante, un message important sur la libération des mœurs sexuelles et une ode aux exclus de la société, ceux qui sont mis sur le côté à cause de leurs différences. Tout dans The Rocky Horror Picture Show vient sans cesse rappeler cet héritage ultra-référentiel. Cette œuvre est le Midnight Movie le plus important de l’année 1975, tout d’abord par les références qu’elle appelle, mais également par son importance pour les années, et même les décennies à venir. Et puis si cette raison de le regarder ne vous suffit pas : c’est qu’il est tout de même incroyable ce film. Ce n’est pas pour rien qu’il est diffusé depuis maintenant quarante-sept ans sans interruption. Entrons ensemble dans le château d’Oakley Court, pénétrons au cœur du Rocky Horror Picture Show.

Avec ce film, Jim Sharman, comme les autres réalisateurs de Midnight Movies, rend hommage aux originaux, aux « bêtes de foire », aux freaks et plus largement, il rend hommage au cinéma de genre dans son ensemble. Revenons ensemble sur l’origine des Midnight Movie, d’où tirent-ils leurs références ? La réponse est simple et infinie : de l’histoire entière du cinéma. Un art qui est à la base un spectacle forain, un lieu où les freaks sont mis en avant. L’endroit où la différence est observé, scrutée de toute part. Le regard est la source de tout au cinéma, et bien évidemment la source du Rocky Horror Picture Show. Mais l’inspiration ne s’arrête pas ici, le film va s’appuyer en grande partie sur des courants cinématographiques majeurs de l’horreur, du film de genre. Tout d’abord, l’une des inspirations les plus évidentes, lorsque l’on observe le design des personnages secondaires de l’œuvre, c’est bien évidemment le Nosferatu (1922) de Murnau.

Nosferatu est considéré par de nombreux historiens du cinéma comme l’un des films majeurs du genre horrifique, et surtout l’un des précurseurs. Adaptant le roman épistolaire Dracula, de Bram Stoker, mais sans en avoir les droits (d’où les changements de noms de personnage) le film réussit à créer, avec le personnage du comte Orlok, l’une des figures les plus mythiques du cinéma expressionniste allemand. Ce courant cinématographique apparait après la fin de la Première Guerre Mondiale. Les traités de paix sont très durs contre l’Allemagne qui se retrouve dans une crise financière sans précédent, jusqu’en récession. Les studios allemands ne peuvent alors pas rivaliser contre le Hollywood d’après-guerre qui multiplie les superproductions, ils doivent alors, pour continuer d’exister, se montrer tout aussi efficaces mais sans pouvoir dépenser autant. Des films tels que Le Cabinet du docteur Caligari (1920) de Wiene ou Le Golem (1920) de Wegener sont ainsi réalisés durant cette période. Le symbolisme va se montrer omniprésent dans ces œuvres, tandis qu’avec les années 30 une moralité singulière infuse de plus en plus de films de ce courant. En effet, la montée du nazisme va énormément influencer les personnages de ce cinéma, ayant de nombreuses contradictions, une culpabilité pesante et surtout, toujours, une pointe d’horreur. Ces personnages sont laids, mauvais et parfois même sadiques. En reprenant ces codes de l’expressionisme allemand, Sharman rend un hommage bien sûr mais il va surtout s’appuyer sur des codes esthétiques connus de tous, tant la figure de Nosferatu est devenue omniprésente dans la culture populaire.

Les inspirations du Rocky Horror Picture Show ne s’arrêtent pas aux frontières de l’Allemagne, les plus importantes références sont à chercher de l’autre côté du Rhin, dans le mouvement surréaliste français. Mais plus encore, le film va s’inspirer plus précisément d’une des caractéristiques de ces films : leur capacité à choquer et à défrayer la chronique. C’est le cas d’Un chien Andalou (1929) de Buñuel, où dès le premier acte, un personnage se fait découper l’œil à coups de rasoir. Donc des scènes extrêmement choquantes par leur violence visuelle mais pas seulement : dans Freaks (1932) de Tod Browning, l’utilisation de véritables « phénomènes de foires » comme acteurs et actrices va profondément choquer le public des années 30. Réputé détruit, le film sera redécouvert dans les années 60, une communauté immense de fans se crée alors et vient souligner l’attirance du public pour ce nouveau genre. Nous y reviendrons plus en détails ensuite, mais Freaks est la pierre angulaire des Midnight Movies, tout l’ADN de ce qui suivra ensuite est issu de ce film. Et donc bien évidemment notre film du jour : The Rocky Horror Picture Show, qui présente toute une galerie de personnages haut en couleurs, et aujourd’hui aussi cultes que ceux de Freaks.

Depuis le début de ce papier nous vous parlons sans cesse de Midnight Movies, mais qu’est-ce que c’est précisément ? Le terme apparaît 25 ans avant l’année qui nous intéresse aujourd’hui, dès les années 50. Il désigne alors un phénomène international et sur de multiples supports : des films de genre diffusés à minuit, que ce soit à la télévision ou dans des cinémas lors d’événements spéciaux. Le public redécouvre alors de grands classiques comme Nosferatu, mais également de petites séries B à la télévision, qui prend réellement son essor à ce moment. Le cinéma entre d’ailleurs dans une de ses périodes de crise les plus importantes, en partie due à l’émergence de cette même télévision. Pour s’en sortir et réintéresser le public, les grands studios tentent alors de réaliser de superproductions comme notamment le Cléopâtre (1963) de Mankiewicz. La Fox souhaitait produire une grande épopée sur le personnage de Cléopâtre, et elle était prête à mettre 2 millions de dollars dans le projet, mais de nombreux problèmes vont perturber le tournage, le studio va finir par perdre 40 millions de dollars dans le film, soit avec l’inflation environ 375 millions de dollars aujourd’hui, l’un des films les plus chers jamais réalisés. Un premier réalisateur qui abandonnera, un tournage qui s’étend sur cinq ans et un deuxième réalisateur obligé de se droguer pour tenir le coup toute la journée. Cléopâtre ne rentrera pas dans ses frais, et même si aujourd’hui on en retient un film titanesque de 4 heures avec des centaines de figurants, le succès n’est pas suffisant en 1963 et la Fox est au bord de la faillite. Cléopâtre est devenu l’emblème de cette crise de l’industrie cinématographique, une crise qui va mettre en difficulté les studios, qui réagiront en laissant plus de libertés à leurs auteurs, c’est ce qu’on appelle le Nouvel Hollywood, un mouvement dont nous reparlerons dans un prochain article. Pour en revenir au sujet qui nous intéresse : l’Age d’Or des grands studios s’achève et la contre-culture va alors profiter de ce vide pour se faire connaitre d’un public plus large. Il est l’heure pour les Midnight Movies de sortir de la nuit. Il est l’heure de laisser entrer les monstres (et merci madame Ducournau).

Une des raisons de l’émergence des Midnight Movies au sens que nous connaissons aujourd’hui (oui on va enfin y arriver) est tout simplement le contexte des années 60. Tout d’abord les années 60 forment une décennie très importante pour la libération des mœurs. L’un des exemples les plus parlants est Psychose d’Alfred Hitchcock, qui en 1960, va mêler nudité et violence à l’écran. Un film qui va choquer mais devenir extrêmement populaire, notamment auprès de la jeunesse américaine. Nous reparlons plus en détails de Psychose dans notre article sur Les Dents de la Mer, mais il est important de souligner que le film d’Hitchcock était également très subversif par le fait qu’il ne respectait pas plusieurs articles du code Hays. Mais qu’est-ce que le code Hays ? Le code Hays est une série de lois censurant les films américains dès 1934 et mis en place par le sénateur Williams Hays. Ce code de censure a été créé pour redorer l’image d’Hollywood et notamment à la suite de plusieurs scandales célèbres, où des acteurs ont étaient vus dans des situations mêlant alcool et sexe.

Alors ce code oblige les films à avoir une Happy End, à toujours représenter le crime de manière extrêmement négative, de couper les scènes jugées obscènes, à montrer une vision patriotique des Etats-Unis et notamment à faire respecter les valeurs « traditionnelles » selon Hays comme l’union de la famille ou le respect des bonnes mœurs. Et ce n’est pas pour rien que cette période voit l’arrivée d’œuvres détruisant complétement les valeurs d’Hays, comme Psychose (1960) d’Hitchcock, Le Lauréat (1967) de Mike Nichols ou encore plus tardivement Eraserhead (1977) de David Lynch. Les mœurs sexuelles se libèrent donc dans les années 60 avec l’apparition et la commercialisation massive de la pilule contraceptive. De nombreux films sont dus à cette libération sexuelle comme Lolita (1960) de Stanley Kubrick ou encore tout simplement The Rocky Horror Pictures Show. Les Midnight Movies baignent donc dans ce contexte, mais plus encore ils sont créés par une envie d’une partie de la jeunesse américaine de créer sa propre culture. En effet, elle est lassée de son gouvernement dû à l’affaire du Watergate en 1974, de la politique extérieure américaine, et de nombreuses manifestations pacifiques ont alors lieu à travers le pays pour montrer le mécontentement de la population contre l’interventionnisme américain, au Vietnam notamment.

Les années soixante sont également la décennie du mouvement des droits civiques mené par Martin Luther King, et c’est une thématique qui se ressent énormément dans les films de cette époque, en témoigne La Nuit des Morts-Vivants (1968) de Georges Romero. Les choc pétroliers, l’inflation, les scandales politiques et les injustices sociales créent une poudrière. La culture des plus âgés ne suffit plus à la jeunesse américaine, elle doit trouver un autre moyen de s’exprimer. Le climat social et politique est donc extrêmement complexe, une contre-culture au bord de l’explosion et surtout une jeunesse qui veut se retrouver dans de nouveaux rendez-vous culturels. Et la solution à toute cette effervescence va se retrouver loin des villes, au cœur d’un désert mexicain. Un « original » est un en train de filmer un western ultra-violent, une fable allégorique brisant tous les codes de l’époque. Ce jeune cinéaste du désert vient de créer un mythe, il vient de réaliser El Topo. Il ne le sait pas encore mais son tournage dans le désert va donner naissance à l’un des plus importants mouvements cinématographiques des années soixante-dix. Nous sommes en 1970 et Alejandro Jodorowsky vient, au cœur d’une étendue désertique, d’assister à la naissance des Midnight Movies.

Une fois le montage de son film terminé, le réalisateur franco-chilien va alors traverser les Etats-Unis dans l’espoir de vendre son film à des cinémas. Et ses nombreuses tentatives se soldent dans la plupart des cas par des échecs, et les rares fois où le film est projeté, en journée, la salle est presque vide. Jodorowsky a beaucoup de mal à rembourser les 40 000 dollars engagés dans le projet, et son projet d’un western violent suivant le parcours d’un pistolero devant tuer les quatre maitres du désert ne semble convaincre que peu d’exploitants. Et c’est là que Ben Barenholtz entre en scène. Gérant du Elgin Theater, il va faire le pari de projeter El Topo uniquement en séances de minuit et de n’en faire quasiment aucune publicité. Le résultat est simple : la salle de 600 places va être comble sept jours sur sept, sans aucune interruption. La foule se presse aux séances, toute la contre-culture américaine essaie d’en faire partie, et de nombreux artistes vont y participer comme John Lennon ou Andy Warhol. On y est invités uniquement par le bouche à oreille, le Elgin Theater devient le lieu le plus représentatif de la libération des mœurs américaine, notamment en proposant des rencontres pour la communauté homosexuelle de New York. El Topo devient instantanément un film culte, et toute une communauté en fait sa promotion aux quatre coins du pays. La séance de minuit devient une incontournable pour les cinéphiles new-yorkais, c’est l’expérience à vivre. Le premier Midnight Movie est né, et rien ne semble pouvoir arrêter l’expansion de ce genre, tant les films, aujourd’hui cultes, se bousculent dans les années suivantes à l’Elgin Theater. Retour sur quelques-uns des plus célèbres Midnight Movies, pour comprendre à quel point ils sont issus de divers genres et origines. Un mélange des genres dont The Rocky Horror Pictures Show va largement s’inspirer pour devenir le plus culte des Midnight Movies. En nous intéressant à ces quelques Midnight Movies, essayons de comprendre quelles sont les thématiques principales de ces films, et comment ces mêmes thématiques se retrouvent au sein du Rocky Horror Pictures Show.

Le successeur direct d’El Topo à l’Elgin Theater est Pink Flamingos (1972) du génial (ou terrible) John Waters. Son ouvre raconte donc l’histoire de Divine, qui va tout faire pour garder son titre d’« être le plus dégoutant de la planète ». Cette comédie va repousser tous les tabous en vigueur et va connaitre un très grand succès dans ce courant alternatif. Bien évidemment que Pink Flamingos reprend énormément à Freaks, et le Rocky Horror Picture Show fera de même mais en ajoutant une touche spectaculaire complémentaire : c’est une comédie musicale. Ainsi le film invite le public à célébrer les « freaks » avec lui, là ou Pink Flamingos s’arrêtait seulement à les rendre visibles. The Rocky Horror Picture Show va plus loin et en faisant participer le public, il a donc des chances supplémentaires de devenir un film culte, porté par toute une communauté qui revient en boucle aux séances pour chanter, danser ou rajouter des répliques au film. Le cinéma retourne à ses origines, une attraction qui rassemble. Et lors de ces séances de minuit, certains de ces films vont obtenir un tel succès que leur trace culturelle est encore extrêmement sensible. Un excellent exemple est notamment The Harder They Come (1972) de Perry Henzell, film biographique relatant l’histoire du criminel jamaïcain Rhyghing, incarné ici par le chanteur Jimmy Cliff. Le film a un succès fou, et plus encore c’est sa bande originale qui devient instantanément culte, faisant entrer la mode du reggae aux Etats-Unis. Jim Sharmann a compris l’importance de la musique pour les séances de minuit, c’est un élément rassembleur qui indique immédiatement aux spectateurs quand transformer la séance de cinéma en spectacle ou non. Les musiques du Rocky Horror Pictures Show sont aujourd’hui devenues cultes, et sont une des raisons les plus importantes du succès dans le temps de l’œuvre. Parmi les autres œuvres majeures qui deviennent cultes lors des séances de minuit, il y a bien évidemment le Freaks de Tod Browning qui est redécouvert, mais également Reefer Madness (1936) de Louis Gasnier, un film de propagande anti-marijuana qui est redécouvert et moqué, notamment à cause des prestations hilarantes de ses comédiens.

L’une de ces plus célèbres découvertes a posteriori est bien évidemment La Nuit des Morts-Vivants (1968) de Georges Romero. En 1968, alors que le système hollywoodien tourne à nouveau son regard vers le film de genre, un jeune réalisateur américain et ses amis tentent de financer leur film d’horreur. Ce projet de réinventer le zombie, un mythe vaudou, pour en faire une créature terrifiante et symbolique ne semble pas convaincre les investisseurs qui refusent tous le financement. Le jeune Georges Romero et ses amis vont alors prendre un très gros risque en finançant eux-mêmes La Nuit des Morts-Vivants, l’un des meilleurs huis-clos de l’histoire du cinéma. En enfermant ses personnages, aux avis et objectifs différents, dans une maison isolée, Romero va alors décrire ce que vit sa nation : des inégalités et des tensions surgissent. Tout cela reflète les nombreuses manifestations des années 60 bien sûr, mais la fin du film est encore plus marquante. Le protagoniste, Ben, un afro-américain joué par Duane Jones, alors qu’il a réussi à survivre à des horreurs surnaturelles, se fait finalement abattre par la police. Un triste retour au réel, après la fin de la séance de cinéma. Le film connait un succès mitigé à sa sortie, mais il est redécouvert lors des séances de minuit, par un public qui se reconnait dans son message. En effet, suite à l’embourbement dans la guerre du Vietnam et au scandale du Watergate, une partie des jeunes américains se tourne donc vers une forme de paranoïa contre le gouvernement. Un sentiment qui se fait ressentir dans de nombreux thrillers politiques, et nous y reviendrons plus en détails dans l’épisode 3 de cette série sur l’année 1975, mais ce sentiment se fait également sentir lors de ces séances de minuit. Ce sentiment de créer une autre culture, de s’émanciper des codes traditionnels, va alors dépasser les films. Les séances du Rocky Horror Pictures Show ne sont plus seulement l’occasion de voir le film, mais c’est également l’occasion pour tous ces adeptes de la contre-culture de se rencontrer et donc d’échanger.

Une autre des caractéristiques importantes du Rocky Horror Pictures Show est bien évidemment la manière dont il mélange les genres : film de science-fiction, film fantastique, comédie musicale ou encore hommage aux films d’horreur de la Hammer. Et jusqu’à leur fin les Midnight Movies ont continué à mélanger les genres, à leur rendre hommage et à les rendre de plus en plus populaires. Le dernier des Midnight Movies, Eraserhead (1977) de David Lynch, mélange également le film d’horreur avec le fantastique hérité de Buñuel. Mais après lui, et malgré son succès critique, les séances de minuit s’éteignent et la fête s’arrête. Tout d’abord par le fait que les gros studios veulent s’emparer du phénomène, et d’ailleurs notre œuvre du jour est représentative des Midnight Movies mais également de leur embourgeoisement, étant financée par la Fox. Le genre étant popularisé, c’est maintenant au tour de tous les grands réalisateurs des années suivantes de réaliser leur film fantastique, de science-fiction ou encore d’horreur. Et ce sont ces films qui vont attirer les foules au détriment de productions plus indépendantes, en témoigne le succès de Star Wars (1977) de Georges Lucas, ou du E.T (1982) de Steven Spielberg. Des productions titanesques qui témoignent d’un amour du genre, le Rocky Horror Picture Show a tellement popularisé le genre, au point de finir par le tuer.

Jim Sharmann a livré une lettre d’amour aux Midnight Movies, les a rendus plus populaires que jamais, avant qu’ils ne se brûlent les ailes face aux ambitions des grands studios. Mais sont-ils vraiment morts ? Leur influence a été telle que certains réalisateurs comme David Lynch ont toujours continué à faire perdurer l’héritage des séances de minuis, parfois plus aseptisés comme avec Elephant Man, mais toujours avec une grande sincérité comme on le voit notamment dans Twin Peaks. L’amour des Freaks n’a jamais cessé d’exister, et de nombreuses communautés se sont construites autour d’œuvres cultes. Cette manière de partager le cinéma, de voir la séance comme un spectacle fait encore aujourd’hui débat : dernièrement avec les séances de No Way Home où de nombreuses personnes venaient déguisées et applaudissaient à de nombreuses reprises, et d’ailleurs dans le cadre de ce film le spectacle se trouvait plus dans la salle que dans la toile… Ce qui ressort de cet exemple est que la culture populaire s’est emparée de ce mouvement issu tout d’abord de la contre-culture new-yorkaise. Mais, malgré tout, l’aspect spectaculaire de ces séances existe encore, et c’est d’ailleurs pour cette raison que le film est toujours projeté ou que des événements comme La Nuit Nanarland font salle pleine. L’année 1975 a été l’apogée des Midnight Movies mais également l’année de leur mort annoncée, en faisant un film aussi bon, Jim Sharmann a « trop » popularisé les séances de minuit qui se sont donc auto-détruites. Mais depuis quelques années un héritier de ce spectacle de Freaks est venu au jour, les Midnight Movies n’ont pas survécu au cinéma, mais ils ont perduré à la télévision. De Twin Peaks à American Horror Story, les Freaks sont aujourd’hui devenus des rois. Des personnages entiers de la célèbre série de Ryan Murphy sont inspirés de Freaks ou de célèbres Midnight Movies, l’hommage le plus visible est à la saison quatre intitulé « Freak show », dont la trame principale se déroule dans une foire. Revenir sans cesse aux origines du cinéma pour mieux le réinventer.

Si j’ai choisi ce film pour commencer cette série d’articles sur l’année 1975 c’est tout d’abord car The Rocky Horror Pictures Show est à la fois un emblème de la contre-culture américaine mais également de l’emprise des studios américains, du système hollywoodien, sur le moindre mouvement cinématographique né aux Etats-Unis. Et cette œuvre montrait également toute l’importance qu’ont les héritages artistiques de l’année 1975, encore aujourd’hui de nombreux films et de nombreuses séries tentent d’aborder la question avec un regard tantôt subversif tantôt réunificateur. C’est quoi le cinéma en 1975 ? C’est tout d’abord un cinéma ancré dans des tensions sociales extrêmement fortes, une envie de s’affranchir des codes culturels traditionnels. Mais c’est également un cinéma qui rassemble et qui inspire. Par le Rocky Horror Pictures Show, Jim Sharmann va créer des communautés si fortes et soudées que plus de quarante années après la sortie, des gens continuent de se retrouver pour partager ensemble cette comédie musicale. Car malgré les différences et les tensions, elle est là la plus grande force de l’Art : rassembler.

The Rocky Horror Picture Show disponible sur Disney+ (oui) et en DVD/Blu-ray.

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