Après avoir triomphé avec son thriller giallo Les Frissons de l’angoisse, Dario Argento a une nouvelle fois marqué les esprits avec Suspiria, un film d’horreur fantasmagorique devenu culte. L’histoire inventive et délirante d’une cohorte de sorcières dirigeant une école de danse a ensorcelé l’imaginaire du public contemporain et a conquis, rétrospectivement, les critiques, malgré un accueil initial mitigé. Outre ses images surréalistes souvent acclamées et sa palette de couleurs éblouissantes, la partition et les choix musicaux du long-métrage se distinguent également par leur singularité.
Après avoir découvert le groupe italien de rock progressif Goblin pour la musique des Frissons de l’angoisse, Argento a décidé de poursuivre cette collaboration pour Suspiria, donnant ainsi naissance à une bande-son psychédélique qui ajoute une dimension supplémentaire à l’horreur et à l’angoisse. Le film s’ouvre sur des percussions frénétiques et des cordes qui montent en intensité tout au long du générique, avant que la musique ne cède la place à un air de synthétiseur féerique et étincelant, tel un leitmotiv ensorcelant. Une voix douce entame alors la narration, introduisant la protagoniste comme une élève de ballet rejoignant une académie de danse prestigieuse.
Dépourvue d’images pour l’heure, la partition éveille les sens, faisant battre le cœur au rythme des tambours. Le passage soudain à la mélodie scintillante est troublant et inquiétant, empreint d’une obscurité mystique et envoûtante. Cette utilisation rappelle celle de « Tubular Bells » de Mike Oldfield dans L’Exorciste (1973). Cependant, une fois la narration interrompue, le violon frénétique et grinçant revient en force, atteignant son paroxysme avant de s’effacer lorsque la première image apparaît : un banal panneau d’aéroport. Ces ruptures et oppositions, ces changements brusques de tonalité et de musique, caractérisent les choix musicaux d’Argento tout au long du film. La musique semble fusionner avec les événements du film, brouillant la frontière entre diégèse et non-diégèse.
La musique diégétique trouve son origine dans l’univers du film : si un personnage frappe un tambour à l’écran, le son du tambour est entendu. À l’inverse, les sons non diégétiques ne trouvent pas leur source dans l’univers narratif. Ce qui fascine dans la musique de Suspiria, c’est sa capacité à osciller entre diégèse et non-diégèse, brouillant ainsi les frontières entre réalité et fiction. Les percussions et les motifs récurrents évoquent une ambiance rituelle, suggérant que nous assistons aux sorcières tissant leur magie noire en arrière-plan de chaque acte de violence. Cette impression est renforcée par des soupirs, des gémissements voire des cris de sorcières entremêlés à chaque morceau. Accompagnant chaque scène horrifique, la partition semble posséder une magie intrinsèque. Lorsque le ton change, la musique est souvent abruptement interrompue, laissant supposer qu’elle émanait en réalité de la scène elle-même. Comme toute bonne bande originale de film d’horreur, elle semble indissociable de l’expérience cinématographique.
Dario Argento et Goblin ont réussi à composer des morceaux qui s’intègrent parfaitement à l’action à l’écran. Le son et l’action se fondent dans une folie cinématographique où la musique et l’image se répondent dans une harmonie troublante. Grâce au talent musical de Goblin, Suspiria est un cauchemar qui ravit autant les oreilles que les yeux.
Suspiria de Dario Argento, 1h35, avec Jessica Harper, Joan Bennett, Stefania Casini – Sorti en 1977