[ANALYSE] Le Cercle des Neiges – Enjeux mouvementés

Le Cercle des Neiges représente la cinquième adaptation du drame du Vol Fuerza Aérea Uruguaya 571 de 1972, une histoire de crash d’avion au cœur de la cordillère des Andes qui revient régulièrement sur nos écrans. Cette intrigue est captivante pour deux raisons principales. D’abord, elle explore la lutte pour la survie en milieu hostile, un thème cher au cinéma. Ensuite, elle soulève un dilemme moral incontournable, lié aux actes de cannibalisme commis par les survivants. Les adaptations précédentes se sont toujours appuyées sur ces deux aspects pour construire leur récit, en les reliant souvent par l’idée que la survie dépendait de la consommation des défunts.

Pourtant, le film de Juan Antonio Bayona innove en abordant ce tabou de manière originale, en intégrant la dimension religieuse. Le réalisateur choisit de présenter le point de vue du personnage croyant, Numa Turcatti, et commence le long-métrage par une séquence dans une église. L’importance de la religion pour ce personnage est soulignée à plusieurs reprises, à travers des discussions sur le péché, le paradis et le sacré avec d’autres personnages. Ainsi, la question de savoir s’il faut ou non consommer les compagnons décédés devient pour Numa un dilemme moral plus qu’une question de survie, ce qui constitue une base originale rendant le film particulièrement intéressant à suivre. Les enjeux du film ne se résument donc plus à “comment vont-ils survivre ? “, une question déjà traitée dans de nombreux livres et films, mais plutôt à “comment Numa va-t-il vivre avec ses choix ? “. Ces enjeux suscitent l’intérêt pour la suite de l’histoire, mais malheureusement, ils s’effondrent dans la seconde moitié du film.

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L’aspect religieux revêt une importance cruciale dans ce drame, car après leur sauvetage, les survivants ont justifié les actes de cannibalisme par une métaphore religieuse. Pancho Delgado explique lors d’une conférence de presse : “Le jour est arrivé où nous n’avions plus rien à manger, et nous nous sommes dit que si le Christ, pendant la Cène, avait offert son corps et son sang à ses apôtres, il nous montrait le chemin.” Cette comparaison avec l’Eucharistie dans la vie réelle explique pourquoi l’œuvre se concentre principalement sur l’aspect mystique, car il revêtait une importance capitale pour les survivants. Par ailleurs, il y a eu de nombreuses répercussions religieuses, notamment un message de Paul VI les bénissant après leur retour. La première partie du film s’appuie donc sur de nombreuses références religieuses, tandis que la seconde semble suivre la même voie, ce qui aurait pu faire de cette nouvelle adaptation un film particulièrement original.

Cependant, dans la seconde partie, le film revient aux canons du survival classique, s’écartant complètement de la piste religieuse. Les enjeux prennent alors un virage à 180 degrés pour redevenir des questions de survie, certes passionnantes, mais moins originales. La preuve de cet échec est la mort du narrateur, emportant avec lui son point de vue personnel et ses enjeux.

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Après cette perte des enjeux, en particulier du point de vue du personnage principal, le long-métrage semble ne plus avoir de véritable orientation. C’est pourquoi il se divise en trois points de vue : les survivants restant au campement, ceux en montagne et les sauveteurs dans des bureaux. Cette augmentation drastique des points de vue, et par conséquent de l’information, surprend, car elle va à l’encontre de la première partie du récit. Alors pourquoi ce changement et cette évolution des enjeux au cœur du film ? Bayona explique lors de nombreuses interviews qu’il souhaite rendre hommage autant aux morts qu’aux vivants, ce qu’il fait en choisissant un protagoniste extérieur aux survivants. L’évolution des enjeux s’inscrit dans cette optique, passant d’une expérience individuelle (nous partageons les pensées et la vision de Numa) à un constat beaucoup plus collectif en intégrant les témoignages de nombreux survivants différents. Les enjeux évoluent au cours du récit pour refléter la vision personnelle du réalisateur : la survie devient l’objectif premier, tandis que l’expérience devient collective. Ces enjeux ne disparaissent donc pas, mais se transforment pour correspondre à la perspective de l’auteur. Cela peut être apprécié, mais à mon avis, Le Cercle des Neiges perd de son intérêt en répétant inlassablement le même drame.

Le Cercle des neiges de Juan Antonio Bayona, 2h24, avec Enzo Vogrincic Roldán, Simón Hempe, Matías Recalt – Exclusivement sur Netflix

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