Le cinéma s’intéresse depuis ses débuts à l’histoire. Il faut dire que les hommes ont toujours utiliser l’art pour raconter ses grands faits, les détourner, les mythifier, les revisiter voir même dans de très rares cas pour les restituer tels qu’ils sont. Ce sont des scénarios qui intéressent le public, car il le concerne directement. Et surtout ce sont de formidables moyens de donner sa vision d’artiste sur des sujets parfois complexes ou tendus. On pense par exemple à des sujets plutôt récents comme les deux guerres mondiales, la guerre d’Algérie ou celle du Golfe. Mais alors qu’en est -il de la Préhistoire ? C’est un sujet immensément vaste, avec lequel nous ne gardons que peu de points en communs. Les enjeux idéologiques sont limités, bien qu’existants, tandis que le sentiment d’aventure est présent. La période en elle-même concerne donc une plage temporelle très large, de -2.8 millions d’années à l’apparition de l’écriture en 3300 avant Jésus-Christ. La zone géographique concernée est également élevée car elle se déroule sur l’ensemble du monde terrestre, soit une infinité d’histoires et d’ambiances esthétiques possible. Toute cette présentation n’est que théorie, il est temps d’observer comment le cinéma s’est intéressé, dans la pratique, à cette gigantesque période historique.
Dans l’objectif de réaliser un article le plus complet possible, nous avons regardé de nombreuses œuvres en lien avec cette période. Il en ressort trois éléments intéressants concernant le corpus d’œuvres visionnées. Premièrement, la plupart des films étiquetés « Préhistoire » ne concerne en réalité pas la période historique mais plutôt une vague idée populaire, qui affirmerait qu’avant l’apparition de l’écriture tout est préhistoire. La préhistoire s’arrête en effet avec l’écriture mais elle commence avec l’apparition de l’espèce humaine, en – 2.8 millions d’années. Ainsi la très large majorité des longs-métrages « préhistoriques » sont tout simplement hors sujets car ils se déroulent durant l’ère des dinosaures, soit de – 232 à -66 millions d’années. Il y a donc une éternité entre la plupart des films que l’on visionne et la réelle période historique que l’on étudie. Deuxièmement, dans les longs-métrages restants, on remarque rapidement que la plupart d’entre-deux sont des documentaires. Il semble y avoir un conflit entre la création de fictions et la préhistoire. Cela peut être dû au fait que les Hommes ne parlent pas, ou très peu, durant cette période. Ou alors que le manque de sources écrites oblige les scénaristes à combler les trous avec de nombreux clichés. On arrive justement à notre troisième remarque sur le corpus : les films restants sont remplis d’idées préconçues sur les habitants de cette période. Alors avec ces films survivants de notre sélection, nous allons observer comment le cinéma a réussi à faire co-exister fiction et préhistoire.
L’un des réflexes d’Hollywood est de prendre son schéma narratif habituel, pour ses blockbusters, et le transposer à l’écran, avec un filtre préhistoire. C’est ainsi que l’on se retrouve avec des Alpha (2018) par Albert Hughes et des 10.000 (2008) par Roland Emmerich. Ce sont des œuvres qui surévaluent la violence de cette période historique, en faisant se succéder des scènes d’actions les unes après les autres. Les longs-métrages utilisent donc la formule classique du blockbuster d’aventure pour attirer le public en salles, mais donc en perpétuant les clichés sur la prétendue « barbarie » d’une époque. Ces idées préconçues sur la violence préhistorique proviennent de décennies d’œuvres guerrières, ne se basant sur aucunes sources scientifiques. Finalement on ne retient de ces œuvres que certains paysages, plutôt fantasmées tout de même, qui montrent la variété des territoires qu’offre cette époque. Bien sûr ces films sont mensongers sur les distances séparant différents peuples, mais ils ont donc le mérite de représenter différentes tribus, et leurs relations entre elles.
Un autre moyen de faire du cinéma préhistorique c’est bien évidemment de parodier cette période historique. En jouant sur des codes connus du grand public, on évite les écarts de véracité tout en profitant d’une période qui attire les spectateurs en masse. Que ce soit RRRrrrr !!! (2004) d’Alain Chabat ou L’An 1 : Des débuts difficiles (2009) avec Jack Black et Michael Cera, de nombreux films se tournent vers la satire. Encore une fois c’est une méthode qui permet d’éluder les principaux problèmes posés par cette période : le manque de dialogues, les immenses territoires séparant les tribus, ainsi que le peu d’action dans la réalité historique.
L’autre manière de passer outre les principaux problèmes de la préhistoire en matière cinématographique c’est de déréaliser cette période. Et donc le moyen le plus efficace pour s’écarter de faits tangibles et sérieux c’est le dessin animé. Alors bien évidemment il existe des films d’animations extrêmement sérieux, mais à Hollywood ces derniers sont surtout le moyen de créer des œuvres en dehors d’espaces historiques sérieux. Et depuis une trentaine d’années c’est donc le cas, que ce soit de l’Age de Glace aux Croods. Ce sont des longs-métrages qui mettent l’humour et les gags au-dessus de toute notion d’adaptation réaliste. Et pourtant, peut être par un coup de chance, ces œuvres marquent quelques bons points historiques. La place accordée à la faune et la flore est souvent très large, tandis que ces films se structurent comme des road-movies, idéal donc pour une période dont l’une des caractéristiques principales est les longues distances. On y observe les premières notions de communautés, que ce soit pour la famille croods ou le groupe d’humains nomades de l’Age de Glace. Ce sont donc les œuvres construites pour être les moins sérieuses, qui se retrouvent à adapter au mieux une période difficile à cerner pour le septième art.
Il est impossible de consacrer un article sur les films préhistoriques sans parler du film le plus sérieux et ambitieux sur cette période : La Guerre du Feu par Jean-Jacques Annaud. L’épopée d’une tribu de d’Homo Sapiens, parti à la recherche du feu pour sauver leur espèce, à donner l’un des succès les plus importants de l’année 1981. Le public est conquis, et les critiques suivent avec un César du meilleur film, un autre de la meilleure mise en scène et sans compter les dizaines e critiques élogieuses. Depuis maintenant une quarantaine d’années ce film a acquis le statut d’œuvre culte si l’on souhaite s’intéresser à la préhistoire. Mais pourquoi ce succès ?
Le réalisateur Jean-Jacques Annaud à réussit à donner vie à un univers crédible, et divertissant pour le cinéma, sans pour autant tomber dans du fantastique cliché. Tout d’abord il respecte le peu de dialogues possibles durant ces années, en faisant appel à un linguiste d’exception : Anthony Burgess, l’auteur d’Orange Mécanique. Ainsi durant l’heure et demie du film on ne va compter qu’une vingtaine de mots compréhensibles, ce qui nous plonge immédiatement dans une période ou la joute verbale n’existe pas. À la place le cinéaste insiste donc sur une certaine physicalité et intensité des corps, ce qui renforce une idée de bestialité, donc d’humanité naissante. C’est d’ailleurs pour cela qu’au film du long-métrage les acteurs passent de déplacement à quatre pattes, jusqu’à de la marche classique tel qu’on la connait aujourd’hui.
Mais ce n’est pas seulement cette volonté de se rapprocher du réalisme qui a fonctionné dans La Guerre du Feu. L’ambition d’Annaud de réaliser un « grand » film va donner au tournage une allure légendaire. Les interprètes passent des heures dans des décors à -60 degrés tandis qu’a côté d’eux des mammouths (éléphants avec de la fourrure) détruisent tout sur leur passage. La raison est simple : les éléphants craignent leurs congénères quand ils les voient en costumes. Cette volonté de réaliser un film spectaculaire se ressent à l’écran, et allie donc un certain réalisme avec le grand divertissement qu’attendait le cinéma.
C’est quoi le cinéma préhistorique ? Ce sont majoritairement des clichés et des inventions pour satisfaire un public en soif de sensations fortes et d’exotisme. Mais parfois, par chance ou talent, il se passe un petit quelque chose qui fait que ces œuvres deviennent respectueuses de la période adaptée. Bien évidement que le dernier film de notre corpus, La Guerre du Feu, empile des clichés sur la violence et la brutalité de la période, mais il garde un vrai amour pour ces millions d’années lointains. Ce n’est pas pour rien si les dernières séquences se terminent dans l’amour et la bienveillance, l’idée d’un nouvel espoir pour une Préhistoire si souvent maltraitée.
Enzo Durand