[ANALYSE] A Girl Walks Home Alone at Night – La femme vampire, une opposition entre la peur et le désir

Avec Twilight, le mythe du vampire s’est enlisé dans une ornière, enterrant ce qui avait été une légende sans fin et richement développée dans un réservoir d’angoisse adolescente et de romance pas très inspirante. On ne pouvait pas s’en vouloir de regarder les vampires avec un sentiment de lassitude. Avec les vampires plus cool que vous de Jim Jarmusch dans Only Lovers Left Alive et A Girl Walks Home Alone at Night d’Ana Lily Amirpour, cependant, 2014 a heureusement marqué un rajeunissement artistique pour les suceurs de sang cinématographiques. Bien que le vampire le plus célèbre de tous soit le toujours aussi viril et suave Dracula du roman de Bram Stoker de 1897, son existence est en fait précédée en 1871 par Carmilla de Sheridan La Fanu, qui mettait en scène une femme vampire.

Ainsi, contrairement à de nombreux autres croque-mitaines et monstres, les vampires ont assez souvent été des femmes au départ et tout au long de l’histoire dans des œuvres comme La Fille de Dracula, Only Lovers Left Alive, Les Prédateurs, etc. La popularité des femmes vampires s’explique peut-être par la dualité qu’elles incarnent entre le sex-appeal (car elles sont souvent stylisées de manière à mettre en valeur certains atouts) et le danger, l’érotisme se trouvant dans l’opposition entre la peur et le désir, le résultat final étant généralement la destruction du monstre et le retour à l’équilibre.

© Capelight

A Girl Walks Home Alone at Night a été qualifié de film d’horreur, mais il défie cette catégorisation facile. Amirpour s’amuse avec le genre, en présentant son vampire anonyme (Sheila Vand) comme une gamine en chemise à rayures, à la Jean Seberg, qui danse seule dans sa chambre en écoutant des vinyles (avec humour, elle partage avec les vampires de Jarmusch dans Only Lovers Left Alive le même goût pour la musique). Le titre du film suggère une fille en péril, car la pensée d’une fille marchant seule la nuit n’est pas une image très positive dans notre société de violence envers les femmes, d’autant plus que le nom de la ville iranienne fictive dans laquelle se déroule le film est Bad City. Mais, dans l’un des nombreux exemples du sens de l’humour insolent d’Amirpour, c’est la fille qui représente la menace.

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Bad City est plutôt vide, à l’exception de quelques pompes à essence et de quelques résidents usés. C’est le genre d’endroit où il existe des hiérarchies sociales auto-imposées mais où personne ne semble se soucier du fait qu’un tas de cadavres s’accumule au pied d’une colline. En bref, il s’agit d’un décor classique pour un film d’horreur – mais il s’avère qu’Amirpour s’intéresse moins aux éléments viscéraux ou visuels de l’horreur qu’à l’élaboration d’un sentiment hypnotique de solitude et de mélancolie. La photographie de Lyle Vincent contribue énormément à ce sentiment de mélancolie. Le noir et blanc et la faible profondeur de champ rendent les arrière-plans flous, faisant apparaître la lumière comme des tâches.

Des zones d’ombre prononcées recouvrent les contours du visage de la jeune fille, rendant ses traits encore plus anguleux et délicats. Elle traque ses victimes dans les rues désertes, moins comme un prédateur que comme une figure profondément solitaire : une ombre qui traque obstinément les êtres humains, un simple lien possible. Vincent utilise également beaucoup la mise au point décalée, l’arrière-plan se définissant à mesure que le premier plan devient flou, et vice versa. Cette technique est utilisée de manière très intrigante dans les plans à deux, comme dans une scène avec la jeune fille et Arash (Arash Marandi), qui a le béguin pour elle, dans laquelle l’image de l’un devient floue tandis que l’autre est très nette, puis l’équilibre s’inverse. Ce flou permanent des bords et des traits crée une sorte de surnaturel lyrique : Bad City apparaît comme un espace disloqué dans le temps, devenant un simulacre de plusieurs lieux.

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Une scène en particulier témoigne de la perspicacité d’Amirpour à capter la nostalgie. La jeune fille a amené Arash – qu’elle rencontre en tenue de Dracula après qu’il se soit perdu en rentrant d’une soirée costumée – dans son appartement. Elle lui tourne le dos près de son tourne-disque qui, avec une ironie non dissimulée, diffuse la chanson Death du groupe post-punk anglais White Lies. Arash entre dans le cadre par la droite, se rapprochant lentement jusqu’à ce que son nez effleure l’arrière de ses cheveux. Puis la fille, encore plus lentement, se retourne pour lui faire face. Pendant que ces deux personnages font leurs gestes amoureux, la boule disco qui tourne dans la chambre de la jeune fille projette des éclats de lumière vertigineux sur les murs. Cette séquence exaltante résume l’expérience de A Girl Walks Home Alone at Night dans sa splendeur espiègle et mélancolique.

A Girl Walks Home Alone at Night, 1h 40min, long-métrage d’épouvante de Ana Lily Amirpour avec Sheila Vand, Arash Marandi, Mozhan Marnò

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