Un an avant la sortie de Matrix, en 1998, la pellicule nous offrit une perspective singulière sur la simulation de la réalité grâce au film The Truman Show. Sous la plume d’Andrew Niccol, l’auteur de Bienvenue à Gattaca et S1M0NE, et sous la direction de Peter Weir, l’artiste responsable de Le Cercle des poètes disparus et Master and Commander : De l’autre côté du monde, ce long-métrage mit en scène Jim Carrey dans le rôle de Truman Burbank, un nom à la portée symbolique. À son insu, ce personnage évoluait dans une existence idyllique, au sein d’une cité artificielle, cloisonnée sous un dôme métallique à Hollywood. Il était l’unique individu ignorant que tout, sauf lui, était une illusion, un acteur jouant son rôle dans une émission de télévision diffusée sans interruption. L’homme orchestrant ce spectacle était un dénommé “Christoff”, incarné par Ed Harris, qui veillait non seulement sur l’ensemble de la production, mais aussi, d’une manière protectrice, sur sa création, Truman. Les premières séquences du film dévoilaient comment Truman commençait à réaliser que la vie qu’il avait connue n’était qu’une façade, les coulisses de son monde factice devenant de plus en plus manifestes, tandis que Christoff s’efforçait de réprimer cette crise pour préserver le spectacle.
Depuis la sortie de ce chef-d’œuvre, de nombreuses réévaluations ont vu le jour, dont la plus courante consiste à confronter le concept du “Truman Show” à l’émergence de la télé-réalité qui surgit peu après. Cependant, cette analogie se révèle inadéquate et révisionniste. Bien que le film renferme des éléments comparables, presque prémonitoires, aux concepts de la télévision contemporaine, sa finalité et son exécution diffèrent radicalement des grands desseins qui caractérisent la télé-réalité moderne. The Truman Show a précédé cette dernière et ne devrait pas être entaché par des comparaisons inappropriées. Il constitue une œuvre de science-fiction qui ne pouvait éclore qu’à ce moment précis, évoquant les récits de science-fiction rétro des années 1950. Il semble que le fondement du film puise ses racines dans un épisode de La Quatrième Dimension des années 1980, ce qui s’avère tout à fait logique. Ainsi, bien que seulement deux décennies nous séparent de sa sortie, le film arbore une aura intemporelle.
L’intrigue, quant à elle, nous révèle que Christoff se montre davantage passionné par la création de son idéal d’Amérique au sein de la ville de Seahaven Island que par la simple production télévisée. Cette dernière ne semble être qu’une conséquence, un moyen de financer son projet. Pour Christoff, le monde extérieur demeure chaotique, tandis que l’île de Seahaven représente le cadre de contrôle ultime. Truman, à ses yeux, incarne l’élu, destiné à vivre la meilleure existence possible dans l’ignorance. The Truman Show est présenté au public comme une sorte de sitcom d’antan, d’une qualité de production presque caricaturale. La présence de Truman en tant que participant involontaire à ce spectacle s’apparente à une attraction, un freak show. Le film n’explique guère l’ampleur de la réaction du monde réel face à cette atteinte aux droits de l’homme, ni même l’époque où se déroule l’intrigue. Toutefois, pour Christoff, c’est un don inestimable offert à Truman, un présent à ne pas mésestimer. En dehors de l’histoire principale, qui relate la découverte de la vérité par Truman, cet aspect demeure crucial et mériterait une analyse approfondie dans les futures études.
Plus significativement encore, The Truman Show incarne un produit de son époque spécifique, la fin des années 1990 jusqu’en 2001, une période marquée par la remise en question des normes, qu’elles soient politiques ou existentielles. Outre ce long-métrage et Matrix, le monde de la musique accueillait Marilyn Manson, avec son regard franc mais discordant, androgyne et extraterrestre, sur les sous-cultures américaines et la consommation de drogues, repoussant les frontières avec des albums comme Mechanical Animals. Un an avant cela, Radiohead explorait des idées similaires, se penchant sur les tourments de la vie quotidienne, les attentes, avec OK Computer. Dans l’univers du jeu vidéo, Hideo Kojima et son Metal Gear Solid, en particulier Metal Gear Solid 2 : Sons of Liberty, jouaient avec les attentes, la relation entre les créateurs et le public, la réalité et la simulation (sans parler de la réalité virtuelle), entre autres.
Tous ces médias s’illustraient par un intérêt manifeste pour l’individu, ou plutôt, par la reconnaissance de la valeur de l’individu au sein d’une société bien gardée. Même un film d’animation en images de synthèse sur les fourmis, tel que Fourmiz, abordait cette thématique. L’idée que Truman soit au centre d’une conspiration contre lui ne constituait pas une notion inédite à l’époque, mais s’intégrait parfaitement dans cette atmosphère. Être la vedette de son propre spectacle, évoluer dans un monde de célébrités, tout cela s’intégrait harmonieusement dans le contexte de la fin des années 1990, une période fortement marquée par la télévision. Dans The Truman Show, deux bulles éclatent : celle construite pour Truman, lorsque ses yeux s’ouvrent sur la réalité, et celle de Christoff, qui persiste à croire que Truman ne souhaite pas quitter cette illusion de perfection.
La force du long-métrage réside essentiellement dans son concept, et sa place dans l’histoire est d’autant plus mise en valeur, car il s’inscrit dans un mouvement collectif. En l’absence de cette pertinence temporelle, le film perdrait une part de son éclat. Toutefois, il perdure principalement grâce à sa longévité, ce qui est justifié. À l’instar des autres œuvres d’Andrew Niccol, le film comporte une dose excessive de sentimentalisme, qui s’avère moins séduisante une fois extirpée des quelques passages où il trouve sa justesse. Les événements orchestrés par Christoff dans la vie de Truman sont idéalisés, romantiques et dépourvus de toute émotion humaine authentique. Cette sentimentalité crée un hybride évoquant les sitcoms de quartier d’antan ou les émissions sur la vie quotidienne.
La partie la moins réussie du film se matérialise sous la forme d’une longue séquence d’exposition où Christoff expose à un journaliste, interprété par Harry Shearer, les coulisses du “Truman Show”. Cette digression superflue perturbe la subtilité des thèmes que le film aurait pu transmettre sans infantiliser le public. Ironiquement, regarder le film revient à vivre une expérience élaborée par Christoff. Malgré ces imperfections nuisant au plaisir du spectateur, il serait déraisonnable de nier la place de The Truman Show en tant que classique contemporain. Il occupe une position similaire à d’autres médias de son époque et se distingue véritablement des autres films. Jim Carrey, alors au sommet de sa gloire, était certainement l’attraction principale pour le grand public, mais l’ensemble de l’œuvre était radicalement différent de ses précédents rôles dans Ace Ventura ou The Mask.
En somme, The Truman Show représente avant tout un exemple remarquable d’une narration concise, directe et autonome au cinéma. À ce stade, il incarne une véritable œuvre cinématographique, une source d’inspiration idéale pour ceux qui aspirent à réaliser des films plus sophistiqués.
The Truman Show de Peter Weir, 1h43, avec Jim Carrey, Laura Linney, Natascha McElhone – Sorti en 1998