Tiré de l’œuvre éponyme réalisée en 2019 par le talentueux acteur et cinéaste Philip Barantini, qui mettait également en vedette le brillant Stephen Graham, The Chef métamorphose le court-métrage original de 22 minutes en une œuvre cinématographique d’une durée de 92 minutes. Malgré l’ampleur de cette entreprise, la version étendue maintient l’intégrité d’une unique prise, renonçant à l’artifice numérique pour égaliser les tensions. Le résultat final, une accumulation de prouesses cinématographiques et de performances saisissantes, s’avère aussi captivant qu’un thriller de premier ordre.
Situé dans un établissement raffiné de Dalston, le film de Barantini suit Andy (Graham), propriétaire et maestro de la cuisine, luttant pour survivre à une soirée de vendredi particulièrement tumultueuse, tout en jonglant avec une série d’infortunes personnelles. Les premiers instants du film amènent une cascade de tracas surplombant Andy. Il incarne le portrait d’un père absent, ayant raté un appel de son fils, en proie aux bagages de sa vie depuis quelques mois, et pour couronner le tout, son établissement subit l’inspection d’un inspecteur de la santé et de la sécurité, surprenamment tolérant à l’égard d’infractions mineures et facilement rectifiables. Tout cela se déroule avant même l’ouverture du restaurant pour la soirée. La cuisine est mal préparée à l’arrivée d’une horde de clients, dont un chef renommé, un critique gastronomique pointilleux et un groupe d’influentes personnalités. La soirée promet d’être l’une des plus éprouvantes que le personnel ait jamais connue. Bien que l’on puisse superficiellement comparer cette anxiété exacerbée à une situation à la “Locke dans une cuisine”, le film de Barantini possède une dynamique itinérante, demeurant constamment en mouvement avec Andy et les nombreux acteurs évoluant dans la cuisine, le bar, le restaurant, et parfois, même à l’extérieur.
Pour ceux qui n’ont jamais eu l’expérience de travailler dans la cuisine d’un restaurant, The Chef offre une perspective intime et épuisante de la nature exténuante de cette profession, dénuée de prestige. Même pour un chef vénéré comme Andy, la tâche consiste moins à démontrer ses compétences culinaires qu’à administrer judicieusement les ressources, que ce soit pour gérer les intérêts souvent contradictoires de ses employés, veiller à la distribution des repas, s’occuper de la paperasserie ou apaiser les différences culturelles et philosophiques entre les différents échelons hiérarchiques. Ce schéma simple peut entraîner une multitude de problèmes plus vastes. C’est la réalité d’Andy, mais pour ceux qui travaillent sous sa supervision, en particulier une plongeuse manifestement apathique, les défis sont omniprésents. De surcroît, Andy et son équipe sont tenus de préserver l’atmosphère romantique et détendue souhaitée par les clients, même sous une pression grandissante. Il faut également faire face à des clients impolis, des gourmands réclamant un agneau sans saveur, des influenceurs avares de cadeaux, ainsi qu’une ombre sinistre que tente de repousser Andy.
Lorsqu’un film exécuté d’un trait, sans interruption, doit faire face à l’accusation d’artifice et à la question inévitable de l’authenticité du “plan séquence”, il s’avère que cette méthode se révèle particulièrement habile pour capturer la frénésie d’un restaurant. Alors que certaines œuvres en plan séquence plus complexes ont recours à des raccords numériques subtils pour assembler des prises distinctes, le film de Barantini ne comporte aucune manigance de la sorte. Il a été tourné en une prise authentique de 90 minutes. Bien que nous ayons connaissance de l’existence du film, ce procédé suscite une tension inhérente, nous amenant à envisager les nombreuses manières dont la réalisation aurait pu déraper. Les risques associés à la création d’une prise unique de 90 minutes, exigeant une harmonie entre acteurs, figurants, caméramans, perchistes, et autres, sont vertigineux. Le fait que le projet ait probablement nécessité d’innombrables répétitions rend le résultat final d’autant plus impressionnant. La fluidité et le naturel qui en émanent sont véritablement surprenants.
Le mérite de cette prouesse revient autant, voire davantage, à l’extraordinaire distribution d’acteurs. Graham, l’un des acteurs les plus remarquables de sa génération, livre une performance d’une intensité volcanique dans le rôle d’Andy, un homme qui préfèrerait manifestement être ailleurs qu’en cuisine ce soir-là. Malgré ses accès d’agressivité, des éclairs de compassion surgissent périodiquement, ne justifiant pas son comportement, mais révélant la part d’humanité dissimulée derrière la façade du restaurateur. Vinette Robinson, dans le rôle de la sous-chef Carly, rivalise d’intensité avec Graham à chaque instant. Elle fait le lien entre Andy et les membres les moins expérimentés de l’équipe, de plus en plus exaspérée par les malentendus et les erreurs de gestion, tout en envisageant de saisir une opportunité professionnelle ailleurs. C’est une performance remarquable pour l’actrice, bien que l’ensemble du casting, qu’il s’agisse de rôles principaux ou secondaires, soit impeccable. Donner de la profondeur à de nombreux membres de l’équipe tout en maintenant un rythme effréné est une tâche ardue, mais Barantini réussit à insuffler suffisamment de nuances pour que nous comprenions les multiples pressions et perspectives en jeu. Par exemple, un membre français de l’équipe de cuisine peine à s’adapter aux différences dans la préparation des plats britanniques, tandis qu’une plongeuse enceinte se plaint du surplus de travail qui lui est imposé, et qu’un jeune garçon travaillant en coulisses cache un sombre secret.
Les hauts et les bas de cette nuit sont accablants, et les émotions sont alternativement euphoriques, reflétant la réalité des emplois à forte pression. Ainsi, ce drame frénétique se transforme en une synthèse authentiquement humaine, mêlant rêves et frustrations. La conclusion pourrait diviser les spectateurs, mais dans son ensemble, le film les incitera à réfléchir avant de se plaindre du temps que prend leur repas. The Chef marie magistralement un ensemble d’acteurs remarquables, en particulier Stephen Graham et Vinette Robinson, à une réalisation ambitieuse en une seule prise, pour extraire un maximum de suspense de ces 92 minutes intensément exigeantes.
The Chef de Philip Barantini, 1h34, avec Stephen Graham, Vinette Robinson, Alice May Feetham – Au cinéma le 19 janvier 2022
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Louan Nivesse8/10 Magnifique
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Vincent Pelisse7/10 BienThe Chef, un film tourné sur un unique plan séquence (sans raccords numériques) arrive à se démarquer de certains films affichant la même ambition technique, grâce à une mise en scène maîtrisée mais jamais démonstrative, qui sert le récit et l’immersion. À tel point qu’il est facile d’oublier qu’il s’agit s’un seul plan, tant l’histoire et l’atmosphère sont prenantes. Les acteurs sont formidables, arrivant à retranscrire les missions de leurs personnages comme si c’était réellement leur métier. Stephen Graham sort évidemment du lot, parvenant à retranscrire la pression psychologique de ce chef de cuisine, dont les problèmes personnels empiètent dangereusement sur son travail, dont la charge mentale pèse déjà très lourd. Le film arrive également à exposer tous les enjeux du travail en restauration, en s’attardant sur le ressenti de plusieurs personnages dans l’équipe, des serveurs aux cuisiniers, en passant par l’entretien, ce qui offre une vision assez variée des tâches qui leur incombent, et de cette soirée qui va mal tourner pour diverses raisons. Pari réussi pour Philip Barantini, qui livre un film sous tension, formidablement exécuté et interprété, offrant une immersion intéressante dans le milieu de la restauration de haute gastronomie.
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JACK7/10 BienAvec son plan-séquence, The Chef justifie chacun des changements de séquence par le mouvement, glissant naturellement d'un couac au suivant. Philip Barantini concocte un film saisissant sur l'envers de la cuisine gastronomique, assaisonné d'excellents comédiens.