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[CRITIQUE] Julie (en 12 chapitres) – Une étoile est née

Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier, un film qui évoque avec éloquence le pouvoir séducteur du cinéma, s’impose comme un triomphe. Alors que le réalisateur norvégien avait déjà démontré son potentiel prometteur par le passé, notamment avec son premier long métrage, Reprise, en 2006, une œuvre brillante sur l’apprentissage punk, son dernier opus se révèle être d’une tout autre nature. Il s’agit d’une comédie romantique teintée de drame, d’une intelligence émotionnelle remarquable, dont les moments forts résonneront longtemps dans la mémoire des spectateurs. Ils perdureront.

J’ai toujours été convaincu que pour qu’une comédie romantique fonctionne, le public doit être amené à tomber amoureux des personnages de la même manière qu’ils tombent amoureux les uns des autres. Trier, accompagné de ses acteurs, parvient à rendre cette tâche particulièrement aisée. Julie (interprétée par Renate Reinsve), âgée de 20 ans, fait face à des problèmes d’engagement, aussi bien sur le plan sentimental que professionnel. De la faculté de médecine à la photographie, puis à une librairie, elle passe également par différentes apparences, passant de blonde à brune, et du statut de mannequin séduisant à celui d’auteure de bandes dessinées avant-gardistes. Parmi ces changements, apparaît Aksel (joué par Anders Danielsen Lie), âgé de 40 ans, créateur du célèbre « Le Lynx », une bande dessinée populaire à l’échelle nationale mais critiquée par les médias. Pour Julie, ce qui compte avant tout, ce sont le charme inné et la barbe séduisante d’Aksel. Lie, qui avait déjà tenu l’un des rôles principaux dans Reprise il y a quinze ans, démontre une fois de plus son talent pour les rôles romantiques. Mais tout bascule avec l’arrivée d’Eivind (interprété par Herbert Nordrum), un jeune homme travaillant comme serveur, inexplicablement séduisant et moins tourmenté qu’Aksel. Intriguée, Julie, toujours en quête de nouvelles expériences et inquiète des propos d’Aksel sur la parentalité, se laisse captiver. Leur première rencontre est électrique, une scène d’une intensité rare à égaler.

Copyright Oslo Pictures

Le mystère persiste. D’où provient le titre original « The Worst Person in the World« ? Il ne peut certainement pas s’appliquer à Julie elle-même. Certes, elle quitte deux hommes au cours du film, les trompe et ment au second, mais à aucun moment nous ne la percevons comme autre chose que vulnérable, imparfaite et humaine. Comme tout individu dans la vingtaine, elle est terrifiée par l’irréversibilité des choix de vie. Peut-être que le titre s’applique à son deuxième petit ami, le brillant mais arrogant dessinateur de bandes dessinées, Aksel, connu pour ses romans graphiques agressivement sexuels, ce qui le conduira bientôt à des ennuis avec une nouvelle génération de féministes.

Malgré une prémisse en apparence légère, Joachim Trier parvient à transcender Julie (en 12 chapitres) en un drame sérieux aux résonances existentielles, tout en maintenant une touche d’humour. Si le film s’inscrit certainement dans la catégorie de la comédie, il échappe néanmoins aux contours traditionnels de la romcom, tout en étant trop divertissant pour être considéré comme un simple drame. On y distingue des nuances subtiles évoquant les œuvres les plus remarquables de Woody Allen, depuis Annie Hall jusqu’à Hannah et ses sœurs. Une scène clé rappelle presque l’un des meilleurs moments de Max von Sydow dans ce dernier film. Pourtant, il ne s’agit pas tant d’un plagiat que d’une réinterprétation nécessaire. Tout comme Allen, les idées de Freud occupent une place prépondérante, se matérialisant comme un personnage à part entière. La relation fragile entre Julie et son père constitue un thème central, abordé de manière subtile et non dénuée de finesse. À l’instar d’Allen, Trier semble moins chercher à éviter Freud qu’à éviter une analyse psychanalytique envahissante là où elle n’est pas nécessaire.

Il est donc évident que Trier s’est inspiré de ses lectures et de ses visionnages récents. Cette démarche l’a indéniablement conduit à devenir un cinéaste meilleur et plus captivant, lui permettant de réaliser l’un des films romantiques les plus réussis et les plus captivants de ces dernières années. Il mérite ainsi d’être salué pour cette réalisation et pour avoir insufflé une nouvelle vie à un genre souvent entre les mains d’hommes peu sensibles à la complexité de la vie féminine.

Copyright Oslo Pictures

Deux scènes se démarquent particulièrement : la première survient lorsque Julie trouve enfin le courage de mettre un terme à sa relation avec Aksel, entraînant une course effrénée dans les rues d’Oslo à la recherche d’Eivind, un moment où le monde semble s’arrêter pour elle. Le deuxième moment mémorable se déroule lorsqu’elle partage une expérience de prise de champignons avec Eivind et ses amis, une séquence onirique absolument stupéfiante où Julie fait face à son père aliéné.

Julie, quant à elle, incarne une authenticité palpable. Renata Reinsve rayonne dans son premier rôle principal, conférant à Julie une légèreté charmante tout en préservant ses subtilités. Bien que l’histoire ne la désigne pas comme la pire personne au monde, c’est Julie qui capte notre attention, et c’est Reinsve qui mérite les plus vifs éloges. Dans un casting aussi talentueux et expérimenté, se démarquer n’est pas une mince affaire. Pourtant, elle domine l’écran avec une assurance rare chez les nouveaux venus. Toutefois, chaque acteur impliqué mérite des applaudissements. Joachim Trier et son co-scénariste Eskil Vogt également. Leur travail devrait propulser les carrières de tous les acteurs vers de nouveaux sommets.

Julie (en 12 chapitres) est doux, tendre et drôle, dans une manière à la fois conventionnelle et profondément authentique. C’est le genre de film que nous avons souvent vu maladroitement exécuté, ce qui rend d’autant plus agréable de le voir réalisé avec brio et de réaliser que ses thèmes sont d’une importance capitale : qui aimons-nous vraiment ? Qui est « le bon » pour nous ? Quand réalisons-nous que nous nous contentons de moins que ce que nous méritons ? La performance de Reinsve est tout simplement remarquable. Une nouvelle étoile est née.

Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier, 2h08, avec Renate Reinsve, Anders Danielsen Lie, Herbert Nordrum – Au cinéma le 13 octobre 2021