Le cinéaste David Robert Mitchell incarne une voix singulière dans le domaine de l’horreur, comme en témoigne, à ce jour, son unique réalisation dans ce registre : It Follows, selon du moins les informations disponibles sur sa page IMDB. Mitchell aborde l’horreur avec une perspective peu commune, et c’est là sa force. À l’instar de l’approche qu’a eue Stanley Kubrick avec Shining, j’apprécie lorsque des réalisateurs étrangers au genre insufflent une nouvelle vie à celui-ci, car cela engendre toujours des résultats captivants. Même si ces tentatives ne sont pas toujours couronnées de succès, leurs points de vue et leurs méthodes novatrices peuvent générer des idées originales au sein d’un genre souvent enfermé dans des schémas rigides. Mitchell fait preuve de choix audacieux dans ce premier opus d’horreur à petit budget, ce qui lui permet de se démarquer aisément de la masse.
L’histoire met en scène un démon transmis par voie sexuelle. Il peut prendre l’apparence de quelqu’un de votre entourage ou d’un inconnu parfait. Il peut se manifester sous les traits de n’importe qui, mais il n’y en a qu’un seul. La seule manière de s’en débarrasser est de le transmettre à une autre personne par le biais de relations sexuelles ; si le démon vous attrape, la mort s’ensuit. Jay (Maika Monroe), étudiante à l’université, en fait l’amère expérience après une soirée enivrante dans la voiture de son rendez-vous, une soirée qui bouleversera sa vie à jamais.
Commençons par aborder la photographie, ce domaine qui séduit chacun par ses images saisissantes. Les compositions visuelles du film explorent de manière captivante et obsessionnelle de vastes espaces, capturant ainsi les sentiments d’aliénation et de solitude éprouvés par Jay, alors que personne dans son entourage ne saisit réellement l’horreur de son existence. Les plans dépeignent une symétrie suffisante pour plaire à l’œil, mais révèlent également juste assez d’asymétrie pour susciter une inquiétude constante, nous rappelant ainsi de rester vigilants. La caméra alterne avec habileté les perspectives, reflétant ainsi les émotions des personnages. De surcroît, plusieurs prises de vue longues et fluides, que j’affectionne particulièrement, sont réalisées avec une précision remarquable, renforçant ainsi les sensations de tension et d’effroi. Cette qualité photographique est rehaussée par un éclairage impeccable, juxtaposant des palettes de couleurs vibrantes avec des teintes monochromatiques, symbolisant le combat intérieur de Jay pour préserver son innocence face à un monstre immortel et implacable. De plus, et c’est un plaisir, les scènes sombres sont éclairées avec justesse, permettant d’observer clairement chaque détail. Bien que se déroulant la nuit ou dans des lieux obscurs, ces séquences exploitent astucieusement les silhouettes et les jeux d’ombre, rendant ainsi les images à la fois captivantes et dénuées de frustrations.
It Follows réussit à contourner l’un des tropes que je déteste le plus dans les films d’horreur à petit budget : le fléchissement du scénario. Tout d’abord, le dialogue se distingue par sa qualité, permettant aux personnages d’engager des conversations authentiques qui leur confèrent une véritable humanité. Leurs motivations et actions sont ainsi crédibles, notamment lorsque Jay prend des décisions regrettables tout au long du récit, mais ces choix restent en accord avec son caractère et sont motivés par le désespoir. Après tout, combien d’étudiants n’ont-ils pas commis des erreurs dans des situations extrêmement stressantes ?
Deuxièmement, le long-métrage apporte une perspective originale à un trope classique de l’horreur : celui du mal implacable poursuivant les protagonistes, tel que vu dans des films tels que Halloween, Alien, A Nightmare on Elm Street, Terminator, entre autres. Ce qui le distingue, c’est l’absence de visage ou d’identité pour le démon transmis par voie sexuelle. Il peut prendre n’importe quelle apparence et se manifester n’importe où, traquant sans relâche Jay jusqu’à ce qu’elle le transmette à quelqu’un d’autre, ou jusqu’à ce qu’il la tue. Ce concept à lui seul suffit à susciter la peur et l’intérêt, justifiant amplement la création d’un film autour de cette idée. Mitchell explore brillamment cette notion à travers son scénario.
Le rythme est magistralement orchestré. Malgré son évolution lente, le film ne donne jamais l’impression de s’éterniser, prenant le temps nécessaire pour développer ses personnages et son esthétique sans jamais sombrer dans l’ennui. Le réalisateur privilégie le drame des personnages et les thèmes sous-jacents plutôt que le recours excessif au sang et au gore pour maintenir l’intérêt du public. À travers plusieurs séquences habilement construites, l’angoisse monte crescendo alors que l’on ne sait jamais si le démon transmis par voie sexuelle approche, grâce à des plans inversés et une bande sonore vibrante. Chaque faux alarme ou véritable attaque renforce la tension, mettant en lumière la vulnérabilité de Jay face à un danger insaisissable. Dans ce récit, tout étranger à l’apparence inoffensive peut représenter une menace mortelle pour elle.
De plus, It Follows regorge de symbolisme. Que ce soit à travers l’organiste du cinéma, les vieilles voitures omniprésentes, la bande sonore rétro créée avec un synthétiseur des années 80, ou encore l’attrait généralisé pour les classiques en noir et blanc, le film est chargé d’une imagerie nostalgique. Si j’interprète cela comme une réflexion sur les perceptions dépassées de la société américaine vis-à-vis de la sexualité et de l’intimité, d’autres peuvent voir dans le décor et le démon transmis par voie sexuelle des allégories plus complexes, évoquant tout, de la crise du SIDA aux agressions sexuelles. Chère lectrice, cher lecteur, peut-être que la simple lecture de ces lignes vous inspire déjà des interprétations cachées. Je doute qu’il existe une réponse définitive, mais ce sujet nourrira certainement les débats entre cinéphiles pendant des années à venir.
Je connais des personnes qui le considèrent comme l’un des films les plus effrayants qu’elles aient jamais vus. Pour ma part, je ne partage pas nécessairement cet avis, mais je peux comprendre pourquoi certains le trouvent terrifiant, surtout si leur vécu personnel résonne avec les thèmes du film. Quoi qu’il en soit, indépendamment de sa capacité subjective à effrayer, je classerais toujours It Follows parmi les meilleurs films d’horreur des années 2010. Il offre une interprétation originale d’un trope bien connu, magnifiquement soutenue par une imagerie exquise. Je le recommande chaleureusement aux passionnés d’horreur ainsi qu’aux cinéphiles moins familiers avec ce genre cinématographique.
It Follows de David Robert Mitchell, 1h40, avec Maika Monroe, Keir Gilchrist, Daniel Zovatto – Au cinéma le 4 février 2015