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[CRITIQUE] Blink Twice – Marqueur temps

Sur une île tropicale où le champagne et la séduction coulent à flots, un décor paradisiaque de soleil éclatant et d’eaux turquoise cache une réalité bien plus sombre. Frida (Naomi Ackie), une serveuse sans le sou, est introduite dans ce monde luxueux par Slater King, un milliardaire de la technologie incarné par Channing Tatum. Derrière son charme et sa prétendue quête de rédemption, Slater cache une nature profondément manipulatrice. Son personnage incarne parfaitement cette culture toxique où les hommes de pouvoir, après avoir commis des abus, cherchent à se réhabiliter publiquement sans réelle transformation intérieure. Ils utilisent le langage de la thérapie et des excuses publiques pour redorer leur image, comme si quelques mots bien choisis suffisaient à effacer des années de comportements prédateurs. C’est ce postulat que Zoe Kravitz explore dans son premier long-métrage, Blink Twice, où elle ne se contente pas de dénoncer ces pratiques, mais les déconstruit en utilisant le cinéma comme un scalpel pour disséquer les dynamiques de pouvoir sous-jacentes.

L’île de Slater, avec ses fêtes décadentes et ses rituels étranges, devient une allégorie de la quête de domination masculine. Les hommes, apparemment absents lors des moments de débauche, sont en réalité omniprésents, surveillant et contrôlant, exerçant leur pouvoir de manière subtile mais constante. Ils incarnent un contrôle qui ne se manifeste pas toujours par la force brute, mais plutôt par le contrôle psychologique, imposant un état de confusion et de dépendance aux femmes qui les entourent. Lorsque ces dernières arrivent sur l’île, la sœur de Slater, Stacy (Geena Davis), tend un sac pour récupérer les téléphones ; chaque homme donne gracieusement son GSM en souriant et en disant « Merci, Stacy », forçant ainsi les femmes à suivre l’exemple. Quand Jess (Alia Shawkat) demande si c’est vraiment obligatoire, Slater lui répond : « Rien n’est obligatoire ici, tu fais comme tu le sens. » Et pourtant, elle finit par donner son téléphone.

Copyright Amazon MGM

L’œuvre aborde également la question du pardon sous un angle critique. Slater King, avec son sourire de façade et ses paroles mielleuses, incarne l’idée d’un pardon superficiel, un pardon qui ne vient pas du cœur mais plutôt de la nécessité de préserver une image publique. Son personnage est une critique acerbe de cette tendance qu’ont les hommes puissants à chercher la rédemption non pas par une véritable introspection ou un changement de comportement, mais par la manipulation des perceptions. En cela, Kravitz met en lumière le fossé entre le pardon sincère et la quête d’oubli. Pour ces hommes, se faire pardonner n’est pas tant une question de regretter ses actions que de vouloir effacer les conséquences de leurs actes, de réinitialiser la situation pour pouvoir continuer comme avant. Mieux vaut créer l’oubli. Sur cette île, les souvenirs sont flous, les événements de la veille sont vagues, comme si chaque matin effaçait ce qui s’est passé la nuit précédente. Cette amnésie collective semble être un choix délibéré de la part de Slater, une stratégie pour maintenir son pouvoir en brouillant la frontière entre le réel et l’imaginaire, entre la vérité et la fiction. Les femmes se réveillent avec des ecchymoses inexplicables, des ongles salis, des sensations de déjà-vu qui ne cessent de les troubler, mais elles sont incapables de mettre le doigt sur ce qui ne va pas. Cette quête d’oubli, encouragée par les hommes de l’île, devient ainsi une autre forme de possession, une manière de contrôler non seulement les corps mais aussi les esprits.

Les figures masculines, qu’il s’agisse du psy charlatan (Kyle MacLachlan), du cuisinier bellâtre (Simon Rex) ou du clubbeur stupide, sont des caricatures de la toxicité, chacune représentant une facette différente du désir d’emprise. Ces hommes, bien que variés dans leur apparence et leur comportement, partagent tous un trait commun : ils exploitent leur position de pouvoir pour manipuler les femmes autour d’eux, imposant leur volonté sous couvert de charme ou de compassion. La mise en scène les expose comme des figures pathétiques, bloquées dans des comportements immuables, incapables de véritablement changer parce qu’ils sont trop attachés à leur besoin de contrôle. C’est d’ailleurs tout un aspect de comédie que la cinéaste parvient à faire passer de manière plutôt agréable, grâce à un découpage qui joue beaucoup sur le comique de situation, le malaise ou simplement le profil de son casting. L’utilisation de Christian Slater ou de Simon Rex, dans des rôles à la hauteur de ce qu’elle a à faire de leurs personnages, démontre une intelligence et une compréhension légitimes de son casting.

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La réalisatrice utilise ces personnages pour faire une déclaration sur la façon dont la société perçoit et traite les hommes et les femmes. Ce qu’elle a produit est une satire mordante qui dénonce non seulement les abus de pouvoir mais aussi la manière dont la société pardonne et oublie trop facilement ces abus. Il n’y a qu’à voir toutes ces personnes accusées, jugées ou pointées du doigt pour comportements toxiques qui reviennent comme des fleurs sur les plateaux TV, au cinéma ou même sur YouTube (coucou Norman, coucou Victor). Les gens ont oublié (ou veulent oublier, au nom d’une société trop « woke » pour eux). Il ne s’agit pas simplement de critiquer ces hommes mais de révéler les structures de pouvoir qui leur permettent de continuer à agir ainsi, de montrer comment la quête de rédemption devient une autre forme de manipulation.

Blink Twice est plus qu’un simple thriller psychologique ; c’est une exploration audacieuse des dynamiques de pouvoir et des mécanismes de contrôle dans les relations entre hommes et femmes. Avec une main sûre et un œil acéré, Zoe Kravitz nous entraîne dans un cauchemar brillant où rien n’est ce qu’il semble être, où chaque geste, chaque parole est une manœuvre dans un jeu de domination et de soumission. N’oubliez pas celui-ci, cela vous permettra sûrement de ne pas oublier le reste. Un sacré marqueur du temps.

Blink Twice de Zoe Kravitz, 1h42, avec Naomi Ackie, Channing Tatum, Alia Shawkat – Au cinéma le 21 août 2024

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