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[CRITIQUE] L’Histoire de Souleymane – Dardenne en mieux

Dans un contexte social où commander à manger pour éviter de cuisiner soi-même est devenu la norme, tant dans les grandes villes qu’en province, en raison de l’implantation massive des sociétés de livraison comme Uber, Deliveroo et autres, il est crucial de rappeler qu’une grande partie des livreurs sont des individus issus de l’immigration, souvent sans-papiers. La condition qui leur est imposée relève davantage d’une forme d’esclavage moderne que d’un civisme respectueux. Il est essentiel de traiter ces livreurs avec le même respect éthique, salarial et de courtoisie que nous accordons à notre boulanger quotidien.

C’est exactement ce que Boris Lojkine réussit à capturer dans L’Histoire de Souleymane. En l’espace de trois à quatre jours, nous suivons, à la manière des frères Dardenne mais avec l’agilité de la steadycam, le parcours de Souleymane (interprété par Abou Sangaré), un livreur Uber sans papiers louant le compte d’un tiers pour survivre et financer son insertion. Le cinéaste se garde de tout pathos et évite la dramatisation superficielle : pas de violons mélodramatiques, de piano larmoyant ou de gros plans ostentatoires. Avec une tension naturelle, il filme nerveusement Souleymane, sur son vélo, déambulant activement dans les rues bondées de Paris. Le spectateur assiste à ses interactions avec les clients et ressent intensément le stress de ce jeune homme déterminé à atteindre son quota quotidien avant que son bus, le ramenant à son foyer d’accueil, ne parte sans lui. Une profonde humanité transparaît à travers les rencontres de Souleymane avec des restaurateurs et commerçants compréhensifs, qui l’encouragent en lui offrant des bons ou un café. Parmi les livreurs, loin d’une compétition exacerbée, règne une solidarité latente : chacun souhaite s’entraider, mais se heurte au manque de temps. Tous sont écrasés par l’omniprésent besoin d’argent, une pression constante qui les unit autant qu’elle les accable.

Copyright Pyramide Distribution

Cette pression se fait sentir de manière particulièrement aiguë lorsque Souleymane arrive au lieu de rendez-vous pour une livraison et se retrouve face à des policiers. Ces derniers, réalisant que le livreur n’est pas celui enregistré sur le compte, l’interrogent, le mettent mal à l’aise et l’humilient en vérifiant s’il transporte de la drogue et en lui demandant ses papiers. Ce genre de dérive policière, fréquemment documentée sur les réseaux sociaux, semble laisser les puissants indifférents. Mais cet incident n’est qu’un fragment de la dure réalité de Souleymane, dont les journées sont véritablement éprouvantes. Il doit patienter de longues minutes devant un restaurant pour récupérer une commande, perdant ainsi un temps précieux pour d’autres courses plus importantes. Il se fait percuter par une voiture, est refoulé par une cliente parce que le sachet contenant son repas est défectueux. Ces situations s’enchaînent rapidement mais sont tellement banales dans notre quotidien, lorsque nous levons les yeux de nos écouteurs en nous promenant dans les rues, qu’elles nous semblent familières. Le cinéaste capte cette réalité avec une telle vigueur que nous ne pouvons que nous identifier à la lutte de Souleymane.

Jusqu’au point culminant de l’histoire, lorsque Souleymane fait une demande d’asile désastreuse, on ressent la pression constante de sa situation. Le réseau qui l’a encouragé à réviser une histoire factice de sa vie lui a bien fait comprendre que c’était sa seule chance de s’en sortir (à leur profit, évidemment). Ce climax résume tout ce que nous avons vu auparavant, comme un serpent qui se mord la queue. Face à l’agente de l’OFPRA (interprétée par Nina Meurisse), il débite des mensonges flous qu’il oublie aussitôt, tandis qu’elle le piège dans ses incohérences. La tension est palpable, et l’agente, bien qu’elle ne fasse que son travail, devient l’antagoniste dans cette situation. C’est à ce moment crucial qu’elle lui demande de dire la vérité, lui offrant une lueur d’espoir, un possible rayon de soleil pour espérer arrêter de rouler. L’Histoire de Souleymane est une œuvre puissante et essentielle, qui met en lumière la brutalité d’un monde capitaliste qui nous broie chaque jour un peu plus, et encore davantage pour ces travailleurs étrangers précaires. L’argent qu’ils gagnent ne sert qu’à les maintenir dans un système aux codes inhumains, les réduisant à l’état d’esclaves modernes. C’est d’une tristesse poignante, qui suscite une rage profonde.

L’Histoire de Souleymane de Boris Lojkine, 1h33, avec Abou Sangare, Nina Meurisse, Alpha Oumar Sow – Au cinéma le 27 novembre 2024

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