…et du chaos viendra l’ordre. Bertrand Mandico possède un style inimitable. Punk, sale, beau, violent, doux, amer : autant d’adjectifs pour caractériser son cinéma. Il est clairement imprégné d’une multitude de références, tel que le cinéma SF des années 70, à l’instar de Barbarella. Cependant, j’y décèle également une influence considérable du jeu vidéo au service du cinéma. Mandico se révèle être un artiste complet, son cinéma dénonce, divertit et offre de véritables tableaux vivants à contempler. Ici, il revisite le mythe fondateur slave et l’un des récits les plus virilistes de l’histoire : Conan le barbare. Cependant, l’artiste remonte aux racines du personnage, bien loin des récits pulp publiés dans les années 60, avec la source du personnage : Conann. Pour rappel, l’histoire de Conan est celle d’un barbare dont la mère a été tuée devant ses yeux d’enfant. On suit alors le périple du jeune homme de son enfance à sa mort, et sa quête de violence et de vengeance contre ceux qui ont tué sa mère.
Mandico dynamite le récit original en le transformant en un récit métaphysique et onirique, une quête sans fin d’un personnage aux prises avec des démons intérieurs trop puissants. Pour ce faire, il choisit d’abord de confier cette partition, jusque-là écrite par et pour des hommes, à des femmes. En résulte une chevauchée des Valkyries contemplative et passionnante. Les différents tableaux de Mandico se dévoilent à travers plusieurs chapitres, chaque phase de la vie de Conann étant représentée par une actrice, une époque et un style différents. Si cela permet avant tout une exploration visuelle plus profonde de la part du réalisateur, cela lui permet également de dresser un constat de chaque époque représentée.
Le choix de représenter Conann sous une forme féminine n’est pas anodin. Femme barbare, sensible, cruelle, etc., c’est toute la féminité que cherche à représenter Mandico dans son œuvre. Il explore chaque état féminin pour les pousser à leur paroxysme, tout en les condamnant à la même fin : celle de la violence et de l’amour. L’aspect pulp conservé dans le récit de Mandico se manifeste ici dans cette représentation à double face : pile la haine, face la violence. Cela enferme le récit dans un sentiment étrange de frustration, une boucle dont Conann ne pourra jamais réellement sortir, une représentation de l’enfer personnel d’une barbare en quête d’identité.
Toutes ces métaphores dévoilées par le récit et la réalisation de Mandico semblent parfois s’enchevêtrer et se mordre la queue. Car s’il y a un seul défaut au film, c’est bien sa générosité. L’abondance de métaphores exige une attention constante du spectateur, que le réalisateur tente de désamorcer avec le personnage de Rainer, notre guide à travers les enfers. Parfois cela fonctionne très bien, comme dans la séquence sur la Conann violente. Parfois, cela stagne et nous perd dans un manque de repères, comme dans la séquence de l’amour. Conann est un film hypnotisant à analyser, mais son visionnage laissera sur le côté les spectateurs en quête d’un spectacle plus concret. Conann fascine à de nombreux égards, notamment par sa critique du monde capitaliste et de l’art. Cependant, il peut parfois s’embourber dans des métaphores pompeuses. Cela dit, cela est compensé par le jeu admirable des actrices. C’est une véritable œuvre punk qui choisit de briser les codes du patriarcat, des représentations féminines et des visions des artistes. C’est un film qui met le feu aux conventions narratives de ce genre de récits habituels.
Conann de Bertrand Mandico, 1h45, avec Elina Löwensohn, Christa Théret, Julia Riedler – Au cinéma le 29 novembre 2023.