L’évènement cinématographique de l’année 2023 n’est pas le nouveau Christopher Nolan, le nouveau Miyazaki ou le film d’horreur Winnie l’Ourson. Non, l’évènement majeur de cette année se trouve être la restauration et la ressortie d’un film soviétique de 1966, adaptation de l’œuvre majeure de Léon Tolstoï, La Guerre et la Paix.
Qui dit livre majeur dit adaptation majeure et les soviétiques n’y sont pas allés de main morte. Film le plus cher de l’histoire du pays (coutant aux alentours de 100 millions de dollars en prenant en compte l’inflation), sollicitation d’une centaine de milliers de soldats de l’armée rouge pour faire de la figuration et de milliers de chevaux, tout ça pour un tournage de 4 ans donnant un montage final de 7h, Guerre et Paix est un film aux nombreux superlatifs. Il faut dire que le contexte joue, puisqu’avec la sortie du Guerre et Paix de King Vidor en 1956, l’œuvre majeure de Tolstoï est un succès dans le monde entier, y compris en URSS où tous saluent la prestation étincelante d’Audrey Hepburn. Pourtant, guerre froide oblige, les soviétiques se doivent de réagir, l’un de leurs ouvrages majeurs est célébré dans le monde, mais est pourtant américain. C’est ainsi que le gouvernement met en place, à l’aide du grand studio Mosfilm, le projet d’adaptation de l’œuvre. Ce sera le non reconnu Sergueï Bondartchouk qui prendra les commandes du projet, tout en incarnant Pierre Bezukhov, l’un des trois protagonistes.
Le tournage commençant en 1961, l’objectif est de le distribuer le 7 septembre 1962, le jour des 150 ans de la bataille de la Moskova, l’un des tournants de la guerre entre les Russes et les armées françaises. Il n’en sera rien et le film sortira en 1966 amenant avec lui un certain succès et une reconnaissance auprès de la critique et du public. Plus d’un million d’entrées en France pour un film de 7h, ce n’est clairement pas négligeable. Mais si la production de ce Guerre et Paix est majestueuse et unique, ce qu’on veut d’un film, finalement c’est qu’il soit bon et/ou intéressant. Les soviétiques voulaient une grande fresque, rendant hommage aux Russes ayant luttés contre Napoléon, ils voulaient aussi une belle adaptation du livre de Tolstoï et il faut le dire, Bondartchouk a rempli les deux parts du contrat.
Le visionnage de Guerre et Paix est unique, certes du fait de sa longueur de 7h, coupée en quatre parties (regroupées en trois pour la ressortie salle), mais aussi d’un point de vue esthétique. Les superlatifs vont être légions, mais il faut le dire, Guerre et Paix est sans aucun doute l’un des projets les plus ambitieux et réussis jamais réalisés au cinéma. Jamais la guerre n’avait été filmé de manière aussi réaliste et palpable que dans ce film, bien aidé par les milliers de figurants. Encore aujourd’hui, n’importe quelle scène présentant des forces armées fait pâle figure face à la démesure du réel champ de bataille que dresse Bondartchouk. On ressent les tirs de canons, les chevaux galopant avec vigueur, sur un terrain en proie aux flammes où la folie de la guerre est à son paroxysme.
Les moyens techniques sont impressionnants, mais ce qui rend les batailles du Guerre et Paix soviétique si impressionnantes, c’est aussi la maîtrise formelle qu’exerce le réalisateur. Le cinéma soviétique est grandiloquent et démonstratif. Moins survolté que le cinéma tchèque ou polonais, la plupart des films soviétiques dégagent cependant une puissance folle par l’inventivité de leur mise en scène et des mouvements impressionnants de leur caméra. Bondartchouk s’inscrit dans cette tradition et sublime les scènes de batailles en faisant parcourir à sa caméra chaque recoin du conflit. Les plans aériens succèdent aux plans intimistes dans les tentes des stratèges, avant de suivre la charge d’une cavalerie puis de passer sur le tambour des canons et des hordes de fusiliers. Difficile d’imaginer que dans ces conditions, personne ne soit mort sur le tournage, mais si tel est le cas, aucun doute que le gouvernement soviétique a pris grand soin des funérailles.
La première chose qui saute aux yeux lorsque l’on regarde cet impressionnant Guerre et Paix est donc la mise en scène de Bondartchouk, qui s’exprime tant dans les scènes de bataille que dans les tout aussi bluffantes reconstitutions de la vie aristocratique russe. Mais derrière ce festival de plans époustouflants se cache un mélodrame déchirant, amené par les différents parcours de nos protagonistes. Ils sont trois, donnant leur nom aux parties du film et du roman, Andreï Bolkonsky, Pierre Bezukhov et Natacha Rostov. Trois personnages qui vont aller et venir au fil des évènements, qui vont être protagonistes puis seconds rôles des différents chapitres d’une histoire s’étendant sur plus de 7 ans. Les batailles d’Austerlitz et de la Moskova marquent évidemment la rétine du spectateur, mais il ne faut pas négliger les moments de vie dans la capitale, comme cette scène de bal impressionnante et plus globalement, tous les liens que nos protagonistes tissent entre eux et avec différentes strates de l’aristocratie russe.
Des scènes de guerre plus impressionnantes que Cléopâtre ou Le Seigneur des Anneaux, un portrait de la société russe plus détaillé que Le Docteur Jivago, finalement, s’il n’y avait qu’un défaut à relever dans Guerre et Paix, ce serait le fait que son récit est si riche qu’il peut facilement perdre son spectateur. Ce dernier pourra tout de même se focaliser sur l’aspect technique irréprochable du film, mais réussir à aller au-delà de ce merveilleux exercice de style demeure ardu, mais vaut tout de même le coup tant le récit de Tolstoï est merveilleusement retranscrit à l’écran.
Guerre et Paix est un réel exploit, un tour de force combinant à la fois une mise en scène incomparable, les plus grandes scènes de bataille jamais projetées sur un écran de cinéma et une histoire d’une puissance émotionnelle folle. Il n’est aucunement prétentieux d’affirmer que Sergueï Bondartchouk et les milliers de personnes ayant œuvrées pour le film, ont réalisé un monument du cinéma unique et réussi en tout point. Difficile d’imaginer pouvoir reproduire un film de cette envergure, candidat sérieux au titre de plus grand film de l’histoire, si tant est que l’on puisse sérieusement y donner un récipiendaire.
Guerre et Paix de Sergey Bondarchuk, 7h03, avec Sergey Bondarchuk, Lyudmila Savelyeva, Vyacheslav Tikhonov – Ressortie au cinéma le 22 novembre 2023
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Alexeï Paire10/10 This Is Cinema
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Vincent Pelisse9/10 Exceptionnel