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[RETOUR SUR..] Les Soeurs Munakata – témoignage de toute une époque

Carlotta est un distributeur de films que l’on connait beaucoup grâce à son travail pour rendre visible le cinéma asiatique en France. Toujours dans cette optique de faire découvrir des raretés, il sort donc en cette fin d’année six longs-métrages restaurés de Yasujiro Ozu, immense cinéaste japonais. Des films qui mettent en avant l’immense palette des films de ce réalisateur, des années 1930 (avec notamment Femmes et Voyous) jusqu’aux années 1960. Un moyen de faire découvrir son travail à un large public, avec des œuvres restaurées pour notre plus grand bonheur. Le FIFAM diffusait justement le cinquième film de cette collection, Les Sœurs Munakata, l’occasion pour nous d’évoquer à nouveau le travail d’Ozu au cinéma. Mais tout d’abord, un peu de contexte.

Ce film, datant de 1950, fait partie de la période faste du réalisateur, celle où il réalise jusqu’à huit films par an. Il lui arrive parfois d’écrire un scénario en une poignée de jours, de le tourner dans la foulée et deux semaines plus tard le film est diffusé au Japon. Tout cela se passe grâce à la confiance que la Shochiku, seconde maison de production à être créée au japon, place dans Ozu. Elle accepte ses nombreuses envies sans jamais poser de questions, et le succès est toujours à la clef pour le studio. Pourtant, en 1950, le réalisateur est séduit par une autre maison de production à l’image indépendante et aux nombreux succès artistiques : la Shintoho. Il rejoint donc ce nouveau studio, pour un seul long-métrage, dans la même période que Kurosawa ou Mizoguchi. Ozu profite du fait d’être courtisé pour négocier l’un des plus gros budgets de sa carrière et l’adaptation de cette histoire qu’il voulait tant : Les sœurs Munakata, qui évoque le conflit entre l’ancienne et la nouvelle génération. L’ainée est très à cheval sur les normes japonaises, tandis que la cadette est bien plus occidentalisée. Et c’est dans cette confrontation que le film devient passionnant, car il reflète également ce qui se passe pendant la production.

En effet, cet affrontement artistique et commercial entre Shochiku, maison ancienne, et Shintoho, nouveau studio à la mode, représente bien des débats et dialogues de ce film. Ce qui se retrouve dans le choix des actrices également. L’ainée est jouée par Kinuyo Tanaka, immense actrice japonaise ayant jouée avec les plus grands réalisateurs de son pays. Elle devient même la seconde réalisatrice japonaise et met en scène bien des chefs-d’œuvre. La cadette est jouée au contraire par Hideko Takamine, nouvelle star de la Shintoho, devenue une véritable idole au japon pour ses comédies musicales. Cette confrontation entre deux stars, représentant deux studios et générations différentes vient donner des enjeux à chaque échange de dialogues entre les deux interprètes.

C’est quoi le cinéma de Yasujirō Ozu dans sa dernière grande période (1950-1963) ? C’est avant tout des films qui parlent et remettent en cause la place de la famille au Japon. Ici, c’est bien évidemment un affrontement entre les générations, avec même la présence du père mourant, mais également entre les sexes avec les différentes intrigues amoureuses. Le rapport du cinéaste à l’occidentalisation est captivant, son film est d’ailleurs représentatif d’une certaine modification du cinéma japonais. Il tourne pour la première fois en dehors de Tokyo, avec un budget élevé et de nombreuses stars de cinéma au casting. Que ce soit l’histoire du film, ou son contexte de production, le tout dépeint un pays en proie à de nombreux changements. Pendant longtemps les films d’Ozu n’étaient pas montrés en occident, contrairement à Kurosawa ou Mifune par exemple, car bien des distributeurs avait peur de son côté « trop japonais ». Mais c’est justement pour cela qu’il faut voir du Ozu, ses films sont le témoignage de toute une époque, avec ses guerres entre studios de production, stars et cinéastes.

Les Soeurs Munakata de Yasujirô Ozu, 1h52, avec Kinuyo Tanaka, Hideko Takamine, Ken Uehara – Sorti en 1950

7/10
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