Atlantis, la quatrième œuvre du réalisateur ukrainien Valentyn Vasyanovych, s’inscrit dans la tendance contemporaine qui explore des décors apocalyptiques. L’idée d’une société en déclin et d’un monde en ruine a gagné une place prépondérante dans la fiction ces dernières décennies. Néanmoins, cette réalisation se distingue par son ancrage dans la réalité actuelle, s’inspirant des ravages de la guerre dans la région du Donbass en Ukraine. Le film nous plonge dans un futur proche, en 2025, où les conséquences dévastatrices de la guerre se manifestent de manière implacable.
Au sein d’un décor où les usines gisent en ruines, où les familles sont éparpillées, et où l’environnement est souillé, Atlantis met en lumière les cicatrices laissées par la guerre, et ce non seulement sur le paysage, mais aussi sur l’âme des combattants survivants. Le protagoniste tourmenté, Sergiy, incarné par Andriy Rymaruk, souffre de stress post-traumatique et cherche un sens à sa vie dans une tâche macabre : exhumer les corps des défunts du conflit. Cette ambiance sombre rappelle la puissante évocation des horreurs de la réalité, telle que Goya l’a illustrée dans ses tableaux de guerre. Ici, le film se déroule dans un environnement industriel en décomposition, où les machines se sont tues, mais où les vestiges du passé demeurent comme des témoins silencieux de la désolation. Cette imagerie évoque naturellement l’œuvre d’Andreï Tarkovski, et en particulier celle de Stalker. Cependant, à la différence du maître russe, Vasyanovych explore un contexte de guerre plus récent et tangible. Les rivières sont empoisonnées, la terre est criblée de mines non explosées, et la perte de l’innocence est omniprésente. La guerre revêt une dimension politique et environnementale, et cette dimension sert de toile de fond à l’histoire.
L’esthétique du film est tout aussi frappante que son contenu. Vasyanovych, également directeur de la photographie, parvient à créer des images d’une beauté brute. Le contraste entre la chaleur des flammes et la froideur des ruines génère une dissonance poignante. Chacun de ses plans semble avoir été forgé dans les flammes, puis plongé dans l’eau pour y être refroidi. Ces tableaux visuels nous guident à travers les différentes séquences du long-métrage, bien que la structure narrative soit fragmentée, avec des coupes brusques laissant peu d’indications temporelles, créant ainsi une tension subtile. Le minimalisme du dialogue et l’absence de musique mettent en exergue sa brutalité. Il s’agit d’une expérience dépouillée de tout artifice, privilégiant une authenticité brute. L’absurdité de la guerre est également traitée avec une pointe de satire, comme dans la scène où les travailleurs s’apprêtent à être licenciés devant un écran géant diffusant le discours d’un cadre d’entreprise britannique, traduit en ukrainien, créant ainsi une parodie de la rhétorique corporative.
Cependant, malgré la noirceur qui imprègne le film, Atlantis n’est pas dénué d’espoir. Le lien qui se crée entre Sergiy et Katya, deux âmes égarées, offre un mince éclat dans cet univers sombre. Leur désir de vivre et de s’aimer malgré la désolation qui les entoure représente une lueur d’humanité au cœur de la déshumanisation provoquée par la guerre. La conclusion nous laisse avec une scène énigmatique sur un toit en ruine, laissant le destin de ces personnages en suspens. Cette fin ouverte est délibérée, soulignant la nécessité d’accepter son passé pour avancer, même dans un monde en lambeaux. Au-delà de son cadre ukrainien, Atlantis résonne comme une allégorie du monde contemporain, où les conflits armés et les catastrophes environnementales menacent notre existence. C’est une mise en garde contre le futur dystopique qu’il dépeint, un futur qui pourrait bien devenir réalité si l’humanité persiste dans sa trajectoire autodestructrice.
Atlantis de Valentyn Vasyanovych, 1h46, avec Andriy Rymaruk, Liudmyla Bileka, Vasyl Antoniak – En exclusivité sur FILMO
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Louan Nivesse9/10 Exceptionnel