La guerre fait rage entre hommes et femmes, et Lily se réfugie dans un manoir à l’abri des coups de feu. Il n’y a pas à dire, Louis Malle s’évertuait à rendre chacune de ses productions plus différente de la précédente. Black Moon ne déroge pas à la règle, sur une relecture plutôt claire des Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (1865) jusqu’à la reprise du symbole animal. L’entreprise tient sa force du basculement de tons, passant des exécutions de femmes aux silences des environnements extérieurs. Le cinéaste explique dans un carton introductif qu’il faut se laisser transporter par les images, les séquences n’ayant pas toujours de lien narratif entre elles. Le résultat à l’écran donne cette impression de songe, et son flottement persiste par cet équilibre entre repos et confrontation.
Qu’il s’agisse des personnages humains tout juste sortis de légendes ou du bestiaire bien fourni, l’étrangeté du récit est prédominante. L’œuvre coche des traits du surréalisme, aidée sans doute par la présence de Joyce Buñuel au scénario et le peintre Ghislain Uhry, tant par les échelles de plans que les couleurs. Malle ne donne pas plus d’explication au présent du conte qu’il met en scène ni aux éléments appartenant à la réalité, l’introduction pouvant s’y rattacher. La guerre présentée en tant que telle peut faire penser aux mouvements féministes très présents du début des années 1970, bien que cela ne constitue pas le sujet premier. Ces cartes de l’imagerie fantasmagorique se répètent malheureusement, et l’intrigue liée à la mère mourante est attendue tant sur le traitement filial qu’individuel.
Ignorant les sollicitations d’aide de Lily, les enfants se laissent enfermés dans leur quotidien monotone qui consiste essentiellement à prendre soin de la demeure, de l’apparat du décor. Le travail du chef opérateur Sven Nykvist, connu pour avoir travaillé avec Ingmar Bergman et bien d’autres, impressionne plus que toute autre chose à rendre l’irréel banal. Dans cette optique artistique, à la différence près que Malle ne filme pas que l’horreur, le film peut faire penser à la radicalité stylistique de Pier Paolo Pasolini, sa trilogie de la vie par exemple. La jeune fille, la mère, adolescents et enfants en forêt sont victimes d’une forme de déshumanisation, se rattachant à des tâches soit domestiques, militaires, ou inexistantes. Que reste-t-il à découvrir, si ce n’est la licorne, elle-même dépossédée de sa magie. Tout se transforme en grisâtre, et la mort appelle les figures qui s’incarnent dans l’hallucination.
Au risque d’agacer dans ses excès, Black Moon est une autre tentative de modernité qui ne se démarque pas vraiment par ses métaphores criardes de sens, tantôt jolies ou laides. Sans laisser durer les mystères trop longtemps, résolus par des caricatures de style concernant les personnages, l’expérience est toutefois unique.
Black Moon de Louis Malle, 1h40, avec Joe Dallesandro, Therese Giehse, Cathryn Harrison – Au cinéma le 6 septembre