“Bela Lugosi’s dead…” murmure la voix grave de Peter Murphy en ouverture de Les Prédateurs. Cette phrase n’est pas seulement une mélodie lancinante mais une déclaration d’intention : adieu Bela Lugosi, adieu Dracula, adieu les vampires poussiéreux du cinéma classique. Place à une version plus somptueuse et déconcertante du mythe vampirique, un miroir sombre d’une époque enfiévrée et éprise d’esthétique.
Aujourd’hui, Les Prédateurs n’a peut-être plus cette aura de nouveauté, mais à sa sortie, le film frappait par son audace. Tony Scott offre une vision de vampires en velours et en soie, traînant leur ennui dans des clubs nocturnes sombres, l’œil aussi vide qu’élégant. Cette décadence stylisée, autrefois audacieuse, pourrait aujourd’hui sembler presque kitsch, comme un voyage dans une époque où l’excès était roi. Avec sa sensualité aiguisée et sa froideur néon, Les Prédateurs est un film qui respire les années 80, à tel point qu’on pourrait presque sentir l’odeur du champagne et de la fumée de cigarette flotter dans l’air, le rythme frénétique de la nuit battant comme une impulsion sous-jacente.
Miriam Blaylock (Catherine Deneuve), vampire aussi ancienne que l’Égypte, et son compagnon, le violoncelliste John (David Bowie), sont des prédateurs qui, loin des clichés, exsudent une élégance morbide. Oubliez les crocs saillants : Miriam a un Ankh, symbole égyptien de vie éternelle, avec lequel elle tranche les gorges de ses victimes dans un geste aussi fluide que létal. John, lui, pensait avoir trouvé l’immortalité aux côtés de Miriam, mais découvre à ses dépens que le temps ne se suspend pas pour lui. Tandis que son corps vieillit soudainement, il cherche désespérément de l’aide auprès du Dr Sarah Roberts (Susan Sarandon), spécialiste du vieillissement, une scientifique dédaigneuse mais rapidement fascinée en voyant les années ravager John en quelques minutes. Lorsque John, dans un accès de rage et de désespoir, tue une jeune musicienne (Beth Ehlers) que Miriam avait envisagée comme son futur amant, Miriam se tourne vers une autre cible : le Dr Roberts, dont la beauté froide et la curiosité intense éveillent une nouvelle obsession chez elle.
Sous la direction de Tony Scott, chaque scène de Les Prédateurs se métamorphose en un tableau saturé de lumière et de luxe glacé. L’intrigue elle-même semble presque secondaire, dépassée par le raffinement avec lequel elle est racontée. Les décors new-yorkais, baignés d’un néon rose et bleu, transforment la ville en une symphonie visuelle de contrastes : des salons feutrés aux ruelles sombres, chaque coin de l’écran transpire une élégance morbide. On pourrait presque imaginer la pop vibrante de Britney Spears résonner en arrière-plan tant cette esthétique flirte avec le kitsch du glamour à outrance. Dans ce paysage artificiel et hypnotique, John et Miriam glissent comme des spectres, des aristocrates distants qui ignorent encore qu’un destin funeste les guette peut-être, la dernière danse avant la chute.
Et pourtant, c’est cette exubérance – cet excès presque grotesque – qui rend Les Prédateurs inoubliable. Le film flirte constamment avec le ridicule, mais c’est précisément cet abandon à la démesure qui le rend aussi fascinant. La fin, tentant une pirouette vers une conclusion plus rationnelle, échoue d’ailleurs à capter l’esprit de tout ce qu’elle a célébré avec tant de fougue pendant une heure et demie. Mais peu importe. Les Prédateurs n’est pas un film parfait, et c’est précisément ce qui le rend captivant. Hypnotisant de style et habité par des acteurs qui épousent ses excès avec une intensité palpable, c’est un OVNI cinématographique à ne pas manquer pour les amateurs de vampires, de néons et d’une époque où l’art du superflu était un art en soi.
Les Prédateurs de Tony Scott, 1h40, avec Catherine Deneuve, David Bowie, Susan Sarandon – Sorti au cinéma le 13 juillet 1983