Théoriquement, le cinquième film de Quentin Tarantino (soit le deuxième volume de Kill Bill) est en réalité considéré comme sa quatrième œuvre, fusionnant ainsi les deux volumes de Kill Bill en une entité unique dans la filmographie du réalisateur et dans son cœur (ainsi que dans le mien). Nous nous plongeons donc à nouveau dans la quête vengeresse de Beatrix Kiddo, alias La Mariée, alias Black Mamba, alias le personnage interprété par Uma Thurman. Comme mentionné dans mon précédent article, ce deuxième volume conserve l’essence de son prédécesseur tout en développant davantage les aspects personnels des personnages. La révélation finale du premier film, révélant la survie de la fille à naître de Beatrix Kiddo et l’érigeant ainsi en fondement de sa vengeance, confère une dimension intime à ce second volet. Revenons-en à Kill Bill.
La dimension intimiste de Kill Bill: Volume 2 se construit autour d’un trio de personnages que Quentin Tarantino utilise pour insuffler à son film cette nouvelle facette de sa saga vengeresse. Dans le premier film, il y avait déjà cette dimension personnelle inhérente à la vengeance, mais ici, c’est ce qui guide entièrement cette suite. C’est évidemment à travers le point de vue de Beatrix Kiddo que cette dimension est introduite, avec son aversion pour le principal responsable de sa tragédie, Bill. Bill, qui avait une présence et une aura spectrale, incarnait le fléau de La Mariée, mais dans le deuxième volume, il est désormais mis à nu. Interprété par le regretté David Carradine, le réalisateur humanise son grand antagoniste en dévoilant simplement son visage. Ce choix d’incarnation avec David Carradine est particulièrement intéressant. Au-delà de l’hommage évident à son rôle principal dans la série Kung Fu qui a propulsé l’acteur vers la célébrité, c’est surtout le regard porté sur la physionomie de l’acteur qui motive ce choix d’interprétation. Étant donné son rôle et le statut qui lui est attribué en tant qu’ennemi numéro un de Beatrix Kiddo, les traits du visage de Bill viennent nuancer, voire même contredire toute la crédibilité établie dans le premier film. Nous nous retrouvons face à un homme dont les traits suggèrent la bienveillance, la gentillesse, avec quelque chose de profondément bon qui émane de son visage, tout en étant marqué par le sérieux. Malgré cette parenthèse sur le visage de David Carradine, cela s’inscrit en réalité dans la vision de Quentin Tarantino pour son film, à savoir une approche plus humaine. Le dernier personnage sur lequel repose cette direction est un personnage inattendu pour notre protagoniste, dont elle découvre l’existence seulement lors du dernier acte du film. En effet, sa fille apporte une ampleur considérable à la confrontation finale entre Beatrix et Bill.
D’un côté, nous avons une femme consumée par la vengeance, qui attendait de devenir mère et qui finit par l’être, et de l’autre, un homme responsable de tous les tourments de cette femme qui se révèle être le père de l’enfant. Le cadre est ainsi posé, et d’une simple vengeance, nous passons à une dramaturgie familiale. C’est là que réside la force de Kill Bill: Volume 2. Souvent critiqué pour ne pas suivre le spectacle du premier volet, ce film se construit autour de ses personnages et de leurs relations. De la première scène à la dernière, le film illustre ces relations, notamment entre Beatrix et Bill, et comment deux personnes qui se sont tant admirées peuvent vouloir mutuellement se détruire. Outre cette leçon humaine que Tarantino démontre et dont nous pouvons tirer des enseignements, c’est sur cette base que le diptyque évolue pour offrir une conclusion digne de ce nom. Le combat final est bien plus qu’une simple exécution, bien plus qu’une dernière personne à tuer pour accomplir sa vengeance. Non, il revêt une importance bien plus grande, nourrie tout au long du film par la relation entre Beatrix et Bill, à laquelle s’ajoute désormais leur fille. Lorsque Beatrix porte le coup final (un coup symbolique en raison de la technique utilisée pour le tuer) à Bill, celui-ci se lève avec fierté. Elle le regarde avec admiration, puis il s’en va résolument faire ses cinq pas dévastateurs avant de mourir dignement. La vengeance de La Mariée est désormais accomplie.
Revenons maintenant plus en détail sur cette vengeance. Elle semble a priori trop douce pour Bill, compte tenu de toute la cruauté dont il a fait preuve. Cependant, Quentin Tarantino, en tant que conteur d’histoires habile, fait évoluer son récit. Plutôt que de proposer, pour sa suite, un film identique dans le traitement de la vengeance, il choisit de la nuancer. Dans le premier film, l’accent était mis sur une perception de la vengeance fatale et froide, sans attaches, d’où le bain de sang dans le restaurant japonais et le spectacle qui s’en dégageait. Mais dans ce deuxième volume, il n’est pas question de reproduire le même schéma. Celui-ci impose une nouvelle perception de la vengeance, tout en admettant l’approche personnelle que j’ai décrite, où il peut y avoir une chaleur associée à ce grand thème cinématographique. Cependant, Tarantino n’oublie pas ses racines et ses pulsions, et le deuxième volume de Kill Bill ne rompt pas avec la tradition violente du réalisateur. Il comprend des scènes marquées par une violence brutale et la cruauté qui l’accompagne.
Le film se distingue également par l’ampleur qui lui est donnée. Toute la partie du film consacrée à la formation de Beatrix auprès du maître des arts martiaux, Pai Mei, confère au film et à la vengeance une aura considérable. Mais cette partie du film contribue également à sa dimension intime, car les enseignements de Pai Mei créent un lien entre Beatrix et Bill, entretenant ainsi leur relation. Cela prend encore plus d’importance dans l’issue de leur confrontation finale, lorsque Beatrix utilise la technique mortelle des “cinq poings et de la paume qui font exploser le cœur” pour tuer Bill. Cette technique, que Bill n’a jamais apprise malgré le fait qu’il ait également été l’élève de Pai Mei, revient au symbolisme mentionné précédemment, mais elle contribue également à donner une conclusion majeure à cette vengeance. En fin de compte, ce que le film nous raconte en filigrane, c’est que l’histoire de Beatrix et Bill est un conte d’amour fatal, et la vengeance qui a imprégné ces deux films n’en est qu’une conséquence.
Kill Bill est également la saga chérie de Quentin Tarantino. L’exploration de son thème est riche et variée, évoluant d’un volume à l’autre pour aboutir à une scène finale profondément belle et émouvante. Si l’on ajoute à cela la passion cinéphile du réalisateur, le résultat est forcément culte. Cependant, il serait ingrat de ne pas mentionner l’implication d’Uma Thurman dans ces films, puisqu’elle a contribué à l’idée de Kill Bill en collaboration avec Quentin Tarantino, en plus d’incarner le personnage principal et l’âme de la saga. Dans l’affection du réalisateur pour la mise en scène de personnages féminins, comme on a pu le voir avec Jackie Brown précédemment, et par la suite avec Death Proof, Kill Bill présente également une héroïne éclatante, incarnée de manière implacable par Uma Thurman. Cette histoire de vengeance est en partie nourrie par les inspirations de Quentin Tarantino, comme je l’ai mentionné dans mon précédent texte sur Kill Bill: Volume 1. Je vais donc maintenant me pencher sur ces inspirations, avec La Mariée était en noir et Lady Snowblood, que je prendrai grand plaisir à découvrir pour approfondir mon amour pour Kill Bill.
Kill Bill: Volume 2 de Quentin Tarantino, 2h15, avec Uma Thurman, David Carradine, Michael Madsen – Sorti au cinéma le 17 mai 2004